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Photo du rédacteurSakina Traoré

VIII. Décider et avancer

Dernière mise à jour : 1 janv. 2022

  • Qu’est-ce que tu vas faire ?


Cela fait déjà presque trente minutes que je réfléchis à tout ce qui s’est passé depuis ce matin. Depuis le moment où j’ai décidé de faire ce voyage et de trouver la réponse à mes questions : Ai-je le courage d’aimer et de me lier aux yeux de tous à quelqu’un, sachant que cela pourrait se finir du jour au lendemain ?


Ai-je assez de valeur pour que l’autre veuille rester avec moi toute sa vie ?


Pourrais-je supporter les éventuelles difficultés qui viendront avec le mariage sans penser à prendre la fuite un jour ?


Yacine a demandé ma main il y a quelques mois. Nous étions d’accord pour ne pas faire traîner les fiançailles alors nous avons engagé les préparatifs dès le mois suivant.


Au début, tout allait bien. On s’entendait sur presque tout, nos familles s’accordaient parfaitement, je me sentais bien et il était heureux.


Sauf que j’ai commencé à stresser à l’approche de la date du mariage. Avec le stress sont venues les questions. Et avec les questions, les cauchemars. Toujours le même, en fait.


C’est le jour-j et je marche vers l’autel au bras de mon oncle. J’ai un grand sourire sur le visage et j’avance pratiquement sur un nuage jusqu’à ce que je me rende compte que c’est ma mère au bout de l’allée, et pas Yacine.


A ce moment-là, tout devient noir dans la pièce, je suis confuse, paniquée. Puis quand j’essaie d’aller vers maman pour comprendre, elle me regarde avec dédain et me dit “je ne veux pas de toi dans ma vie et toute personne sensée devrait faire pareil”.


Au début, j’ai tout rejeté sur Yacine. J’ai commencé à scruter ses faits et gestes pour savoir s’il m’aimait vraiment, s’il ne jouait pas un double-jeu, s’il était sûr de lui, sûr de son choix… bref, je l’ai tellement poussé à bout que nous avons eu une lourde dispute, la pire de toute notre relation.


Après ça, et même si je ne lui avais pas dit ce qui avait causé mon attitude, il a été encore plus attentionné avec moi et a cherché par tous les moyens à me rassurer. J’ai fini par comprendre que le problème ce n’était pas lui mais ma peur d’être abandonnée qui s’est installé à cause du départ de ma mère et s’est aggravée avec la mort de mon père.


Mais ce n’était pas assez pour que j’agisse. J’ai remis au lendemain le moment de trouver une solution, encore et encore, jusqu’à ce qu’hier, la veille de mon mariage, mon cauchemar revienne avec une autre fin. Cette fois, c’était moi qui fuyait devant l’autel, plantant Yacine là à cause de la peur.


Alors j’ai appelé Andrée, ma meilleure amie. Je lui ai expliqué que j’avais besoin de parler à ma mère au risque de faire une bêtise. Je lui ai parlé de mes rêves, de ma peur de tout dire à Yacine au risque qu’il pense que je ne suis pas prête… Elle m’a encouragée alors j’ai pris le car et je suis arrivée à Yamoussoukro, aux 220 logements, chez ma mère.


Je sais que je veux me marier avec Yacine. Je sais que c’est le bon. Mais parfois nos peurs, si elles ne sont pas affrontées, nous font gâcher les meilleures choses qui nous arrivent. Il fallait que je sache, que je comprenne, pour être plus sereine une fois devant lui.


  • Maguissi ?

  • Hum ?


Je lève les yeux vers ma mère et lui fait un sourire. Le plus sincère et le plus radieux que j’ai fait depuis que je suis ici. Elle me sourit à son tour et caresse ma joue doucement de sa main droite.


  • Prête à te marier à ce que je vois ?


  • Oui, je réponds les larmes aux yeux


  • C’est bien, je suis fière de toi Magui


  • Merci d’avoir répondu à mes questions


  • Je te le devais, et je ferais plus si je le pouvais ma chérie. Je te demande pardon d’être partie et d’être revenue trop tard. Pardon, elle répète en se mettant à pleurer à son tour. J’aurais dû être plus forte, chercher plus loin…


  • Je suis désolée que tu n’aies pas été là tout ce temps


  • Je sais… je sais


Mon téléphone sonne à ce moment-là et je le sors pour voir le numéro de Yacine affiché à l’écran. Mon visage s’illumine et c’est avec un coeur désormais apaisé que je décroche :

  • Babe


  • Ça va ma chérie ? Je sais que je ne suis pas censé t’appeler aujourd’hui mais je n’arrête pas de penser à toi depuis ce matin…


  • Je te manque trop ?


  • Tu me manques toujours quand tu n’es pas là… mais je ne sais pas, quelque chose me disait que tu avais grave besoin d’entendre ma voix, lol


  • J’ai toujours besoin d’entendre ta voix Yacine. T’inquiète pas, on se voit tout à l’heure devant le maire


  • J’ai hâte, je t’aime bébé


  • Je t’aime aussi, gros comme ton nez


  • Petite impertinente !


Mon rire emplit la pièce, me surprenant moi-même, pendant que je raccroche l’appel. Au même moment, ma mère revient de la cuisine où elle est allée ranger le plateau de thé.


  • Alors ?


Je consulte ma montre avant de lui répondre et la panique me prend tout à coup.


  • Aïe merde maman, il ne me reste plus que 3h… 20 minutes pour rentrer sur Abidjan, me préparer et me présenter devant le maire !


  • Tu comptes repartir en car ?


  • Oui, ma voiture est au garage depuis quelques jours


  • Attends


Elle prend son téléphone et me fait signe de patienter. Je me mets à tourner en rond dans le salon pendant qu’elle passe son appel. J’en profite pour écrire à Andrée et lui dire que tout est réglé, que je suis prête à rentrer me marier.


Maman me sort encore une fois de mes pensées alors que je parle toujours par SMS avec ma meilleure amie :

  • Maguissi, il y a un vol Yamoussoukro - Abidjan dans 25 minutes. J’ai pu t’avoir une place, tu devrais arriver à temps !


  • Mais… comment ?


  • J’ai été hôtesse de l’air pour Air Côte d’Ivoire pendant près de 30 ans, j’ai des contacts, elle me répond avec un clin d’oeil


  • Merci maman, je lui réponds, des trémolos dans la voix


  • Ah ah, on n’a plus le temps de pleurer, viens je te dépose !


En rigolant, je prends mon sac à main dans le fauteuil pendant qu’elle récupère le sien dans la salle à manger et nous sortons de la maison quelques secondes plus tard. Tout le trajet se fait dans le silence. Entre la journée hors du commun que nous avons passée et les émotions qui nous envahissent, je crois que chacune d’entre nous a besoin de calme pour digérer.


Quand nous arrivons à l’aéroport, tout se fait dans le rush. Il ne me reste plus que 8 minutes avant l’embarquement alors on court presque dans les couloirs pour rencontrer John, l’ami de maman qui doit nous remettre mon billet.


  • Sarah !, un homme appelle sur notre droite alors que nous courons vers ce que ma mère m’a indiqué il y a quelques secondes comme le salon du personnel.


  • John, tu es là !


On s’arrête en même temps et je suis maman qui marche vers lui, un peu essoufflée.

  • Merci infiniment, tu me sauves la vie, elle lui dit


  • Je t’en prie, c’est normal.


  • Magui… je te présente un ancien collègue, John Kouassi. John, ma… ma fille, Maguissi Yol.


Je serre la main du grand monsieur en face de nous, intimidée par sa taille et son visage grave.

  • Oh ta fille…


  • Longue histoire, on pourra en parler une autre fois !


  • Oui, bien sûr. Euh, voilà les tickets


  • Tu en as pris deux ? lui demande ma mère


  • Euh oui


  • C’est gentil mais il n’y a qu’elle qui part


  • Maman ? je l’interpelle alors qu’elle lui répond.


Je m’excuses auprès du monsieur et l’emmène un peu à l’écart.

  • J’aimerais beaucoup que tu viennes


Je vois les larmes envahir lentement ses yeux alors que je lui prends les mains.

  • Tu as raté tellement de choses et je sais qu’on a beaucoup de trucs à se dire encore mais je n’aimerais pas vivre encore un grand moment sans toi. Je veux que tu viennes


  • Bien sûr, elle me répond en pleurant de plus belle et en hochant frénétiquement la tête


Alors pour la première fois de la journée, je la prends dans mes bras et nous nous tenons là en silence. Chacune savourant la présence de l’autre quand Monsieur Kouassi nous interpelle.


  • Euh, Sarah, l’embarquement finit dans 3 minutes


  • Oh oui, elle répond alors qu’on se sépare. Merci encore John !


  • Je t’en prie


  • Merci monsieur, je rajoute


Et il hoche la tête en me souriant. Puis je suis ma mère et quelques secondes plus tard, juste à temps, nous nous installons dans nos sièges au fond de l’avion. Elle pose une main sur la mienne, me sourit et me dit : allons te marier Magui !


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