***Dans la tête d’Heartie***
Je n’aurais jamais cru que « Je t’aime », cette phrase à laquelle je donnais une si grande importance serait un jour incapable de retranscrire l’amour que je ressens pour quelqu’un. Mais c’est le cas.
Dire que j’aime mon bébé, ce serait réduire considérablement ce que je ressens pour ce petit être. Dire que je l’aime, c’est ne pas dire que je ressens cet amour déborder de mon cœur à chaque fois que je pose les yeux sur elle. C’est ne pas dire combien parfois j’angoisse à l’idée qu’elle grandisse sans moi, que les gens lui fassent du mal.
Je passe le clair de mon temps avec elle dans les bras. Je n’ai jamais envie de la poser. Je ne me lasse pas de la regarder gazouiller… rire… dormir… manger. Je ne me lasse pas de la voir grandir un peu plus chaque jour. Ma princesse… mon rayon de soleil… ma moitié... et la moitié de l’homme que j’aime.
Cela fait un mois que Ty et sommes mariés et deux semaines qu’il a repris le boulot. Une petite routine s’est installée entre nous et chaque soir quand il rentre à la maison, il me retrouve assise dans le canapé avec Areej endormie dans les bras. Au début, il insistait toujours pour que je la pose dans son berceau quand elle dort mais il a fini par comprendre que c’est plus fort que moi. Il faut que je l’aie dans mes bras ou sous les yeux.
Là, je suis en train de donner un bain à la petite. On a passé la journée au parc et Dieu merci, j’ai pu profiter pleinement de ce temps avec elle sans aucun malaise ni aucune douleur. D’ailleurs, j’en ai de moins en moins ces temps-ci parce que je peux enfin prendre les bons médicaments pour les prévenir.
Trente minutes plus tard, je suis en train de donner à manger à la petite princesse quand son père rentre du boulot. Pendant qu’il va prendre une douche, je finis de nourrir Areej qui tombe de fatigue, lui fait faire son rôt et vais la poser dans son berceau où elle s’endort presque tout de suite.
Quand Ty revient, je nous sers à manger et nous dînons ensemble, face à face, main dans la main… regards accrochés… C’est comme ça entre nous depuis que j’ai accouché. J’ai juste l’impression que ce qui nous unissait est devenu plus fort, plus pur, plus électrisant.
Je ne saurais dire ce qui a changé exactement. Peut-être parce que nous avons eu une fille ? Qu’il a eu peur de me perdre ce jour-là ? Ou tout simplement parce que je suis malade ?
Je n’en sais rien et très franchement, je m’en contrefiche. Tout ce qui m’importe c’est ce que je vis avec lui, à cet instant précis. Tout ce que ses yeux me disent quand ils se posent sur moi.
Tout l’espoir que j’y vois parfois… tout l’amour que j’y lis à chaque fois et qui trouve son reflet dans mon propre regard.
Quand nous finissons de manger, Ty m’aide à faire la vaisselle puis je vais prendre une longue douche froide. Quand je reviens de la salle de bains, il est assis dans la chaise en face du lit, le regard perdu dans le vide.
J’enfile une culotte et un t-shirt avant d’aller le rejoindre et m’asseoir sur ses cuisses. Je pose ma main sur sa joue et il me regarde en souriant puis m’embrasse… doucement… lentement… un baiser empli de tendresse.
Moi : qu’est-ce qu’il y a bébé ?
En guise de réponse, il me prend dans ses bras et me serre à m’étouffer. Sa tête calée dans mon cou, je sens son cœur battre contre le mien à une folle allure. Sa main me caresse le dos dans un geste machinal et il ne dit toujours rien.
Moi : Ty ? Parles moi
Lui : Comment se fait-il que tu aies accepté la situation aussi facilement ? Je n’y arrive pas. Je ne peux pas me résoudre à te perdre.
Moi : Moi non plus... Il te semble peut-être que je suis en paix avec ce qui se passe mais il n’en est rien Ty. Je vis un peu mieux la situation parce que j’ai toujours su qu’il y avait de grandes chances que j’aie une maladie de ce genre.
Ma mère a eu plusieurs cancers. Mon père qui était toujours en bonne santé est mort d’une maladie courte et très éprouvante. Je savais que ça arriverait, je ne pensais juste pas que ce serait si tôt. Et je n’ai aucune envie de partir. Qui le voudrait à ma place ? Qui voudrait abandonner son homme et son enfant ?
Je ne veux pas partir Ty mais c’est ce qui risque d’arriver alors je vais l’effort de ne plus y penser et je profite du temps qu’il me reste avec vous. Essaie de faire de même chéri.
Lui : J’essaie Heart. J’essaie vraiment.
Il pose un baiser dans mon cou puis se redresse et plonge son regard dans le mien. Je n’aime pas le voir si triste. Je ne veux pas qu’il soit comme ça même si je comprends.
Lui : Tu ne veux toujours pas essayer la chimio ?
Moi : Non. Je te l’ai déjà dit. Je ne veux pas que mes derniers instants se passent comme ça.
Je veux pouvoir m’occuper d’Areej. Pleinement. Si dans quelques mois, je suis toujours là, j’essaierai. Mais pas maintenant Ty, s’il te plaît.
Ty : D’accord mon amour.
Moi : Je dois te montrer quelque chose
Ty : Quoi ?
Moi : Attends, je reviens
Je me lève, vais ouvrir le placard et en sors la grande boîte rouge et blanc que j’avais rangé là. Je reviens vers lui, le cœur battant. Je ne veux pas plomber la soirée avec le contenu de cette boîte mais il faut que je la lui donne.
Ty : (en fronçant les sourcils) : qu’est-ce que c’est ?
Je me rassieds sur ses cuisses, prends un grand bol d’air et ouvre la boîte posée sur moi.
Moi : Ce sont des cadeaux…
Ty : Pour qui ?
Moi : Pour Areej
Il fronce encore les sourcils, perplexe.
Ty : De la part de qui ? Je pensais qu’on avait déjà déballé tous les cadeaux de naissance
Moi : On l’a fait. Ceux-ci, c’est moi qui les ai achetés… pour que tu puisses les lui donner… à chaque anniversaire…
Ty : Je ne te suis pas
Moi : Je lui ai acheté dix-huit cadeaux d’anniversaire. Pour le moment. Et je veux… je veux que tu les lui donnes… si jamais je ne suis plus là pour le fa
Il me fixe sans dire un mot. Puis regarde le contenu de la boîte.
Moi : J’ai acheté très peu de choses. La plupart de ces cadeaux sont des choses à moi. J’ai écrit un numéro sur chacun pour que tu saches quel cadeau donner pour chaque anniversaire
Ty : Heartie…
Moi : Ty, je t’en prie. Je sais que c’est bizarre mais j’ai besoin que tu me dises que tu le feras.
Ty : …
Moi : S’il te plaît
Ty : Ok. D’accord.
Je l’embrasse pour lui dire merci, lui montre le contenu de la boîte et une fois qu’on a fini, je la range et nous allons nous coucher.
***********
Deux mois plus tard.
Je me sens bien ces temps-ci. Physiquement, moralement, tout va bien. Ça fait un moment que je n’ai pas pris de médicaments pour la simple et bonne raison que je n’ai plus de douleurs. Je me sens subitement mieux, au top de ma forme.
J’arrive à faire plus de choses avec Areej, à m’occuper pleinement de mon mari et j’ai même repris le boulot même si pour le moment, je ne travaille pas de nuit. Je ne sais pas ce qui se passe, je ne sais pas si je suis guérie… et j’ai peur de vérifier si c’est le cas. Parce que si je fais des examens et qu’ils sont toujours positifs, ça va me saper le moral et je n’ai aucune envie que cela arrive. Je préfère encore rester dans le doute et profiter de ce regain de santé.
Je viens de finir une journée de travail bien remplie aux urgences. Je me change rapidement, récupère mes affaires et vais chercher Areej à la garderie de l’hôpital. Moi qui l’avait tout le temps dans les bras, ça a été quelque peu difficile de me résoudre à la laisser aux soins de quelqu’un d’autre pour aller travailler. Mais bon, je le supporte mieux maintenant.
Je récupère la petite, fais un tour au supermarché pour des courses rapides avant de rentrer à la maison. Je m’occupe de mon bébé, lui donne son bain, la nourris puis m’installe avec elle dans le canapé, le temps qu’elle s’endorme.
Quand c’est fait, je vais la déposer dans son berceau et me mets à préparer le dîner aussi vite que possible. Pendant que mes lasagnes sont au four, je file à la salle de bains prendre une bonne douche.
Je reviens à la cuisine au moment où Ty rentre du boulot.
Ty : Hey babe
Moi : Coucou chéri
Ty (en m’embrassant) : Comment tu vas ? La petite dort déjà ?
Moi : Bien. Elle s’est endormie il y a une heure environ. Et ta journée ?
Ty : Éreintante. Je vais prendre une douche
Moi : Okay. Je t’attends pour manger
Ty : Je me dépêche.
Une quinzaine de minutes plus tard, nous dînons, dans cette atmosphère si particulière qui est la nôtre ces temps-ci. On passe le reste de la soirée à rire, se taquiner, s’embrasser devant la télé. Et puis je lui saute dessus et nous finissons la soirée au lit… ça a du bon quand même de ne pas pouvoir allaiter.
*********
Au milieu de la nuit, dans la tête de Ty.
J’ouvre les yeux et regarde autour de moi un instant. Je tends le bras pour prendre Heartie dans mes bras mais la place à côté de moi est vide. Je me redresse et me rends compte que j’ai été réveillé par une envie pressante. Cela fait des années que ça ne m’était pas arrivé de me réveiller en pleine nuit pour uriner.
Je me rends à la salle bains, titubant encore sous l’effet du sommeil. Quand je reviens dans la chambre, l’horloge indique deux heures du matin. Heartie doit être avec la petite. Je me dirige vers la chambre d’Areej et la trouve assise sur la chaise à bascule avec la petite dans les bras.
Moi : ça va ?
Elle (en chuchotant) : oui. Elle s’est réveillée il y a environ trente minutes. Je l’ai changée,
j’attendais qu’elle se rendorme.
Moi : elle dort maintenant ?
Elle fait oui de la tête en souriant.
Moi : reviens te coucher alors. Il est tard
Elle : J’arrive. Donnes moi dix minutes
Moi : okay
Je repars dans la chambre et replonge dans le sommeil dès que ma tête touche l’oreiller.
************
“I can’t live… if leaving is without you… I can’t bring… I can’t bring anymore…”
J’émerge lentement du sommeil et arrête la radio. Je souris en pensant que c’est la chanson préférée d’Heartie en ce moment. Je me retourne pour la prendre dans mes bras mais une fois de plus elle n’est pas dans le lit.
Je regarde le réveil : 6h. Où est-ce qu’elle peut bien être si tôt ? Je vais dans la salle de bains mais elle n’y est pas. La cuisine et la buanderie sont elles aussi vides. Peut-être que la petite s’est encore réveillée, me dis-je en me dirigeant vers sa chambre.
Quand j’y arrive, je me rends compte qu’elle a dormi là. Elle est toujours dans la même position qu’hier, la petite dans les bras et elles dorment toutes les deux. Je m’approche lentement, sans faire de bruit et prends Areej pour la poser dans son berceau.
Je reviens vers Heartie la réveiller pour qu’elle aille se reposer dans la chambre. Je lui caresse la joue et elle est étonnamment froide. Bizarre, le chauffage est en marche dans la chambre.
-Hey babe… Réveille toi chérie.
Elle ne me répond pas… Et j’ai l’impression que quelque chose cloche avec elle mais quoi ? Je la regarde attentivement et je sens la panique m’envahir quand je réalise ce qui ne va pas.
-Hey Heartie… qu’est-ce que tu fais bébé ? (en lui tapotant la joue) Heartie ! Respire ! Pourquoi tu fais ça ? Bébé… bébé je t’en prie respire… (en levant son visage vers moi) mon amour… chérie je t’en prie, ne me fais ça… respire… je t’en supplie Heartie… Respire… mon amour… ma puce
Mais elle ne respire plus. Elle ne me parle plus. Ne me regarde plus.
****Dans la tête d’Ama***
Les cris de Naheem m’extirpent de mon sommeil. Je me lève du lit et un coup d’œil à l’horloge m’apprend qu’il est cinq heures du mat. Toujours à l’heure ce petit. Je me lève et vais le prendre dans son berceau avant que Jesse ne se réveille dans sa chambre. Euh… oui. On fait chambre à part… depuis qu’il m’a trompée avec son ex… mais bon… ça c’est une longue histoire.
Je me dirige lentement vers mon garçon et le prends dans mes bras.
-Coucou bébé… comment tu vas ?
Comme chaque matin, je me mets à lui parler de tout et de rien en le nourrissant. Puis je lui donne son bain et après un long moment, il finit par se rendormir.
Pendant que je vais moi aussi prendre une douche, je décide de l’emmener au parc quand il se réveillera puis on ira voir Heartie et Areej. Cela fait déjà deux semaines que je ne les ai pas vues.
Je ressors de la douche quand je vois Jesse entrer en trombe dans ma chambre.
-Ama !
Normalement, je n’aurai pas répondu. Je ne lui aurai même pas accordé un regard… mais il n’est pas dans son état normal et j’ai beau être fâchée contre lui, je n’aime pas le voir mal en point ou inquiet à ce point.
Moi : qu’est-ce qu’il y a Jesse ?
Jesse : C’est… Heartie…
Moi : Quoi Heartie ?
Son regard bouleversé fait monter la panique en moi…
Moi : Jesse !
Jesse : …
Moi : Non… Jesse non ! Il lui restait encore du temps… tu… non !
Jesse : Ama… elle est…elle…
Mais il n’a pas besoin de finir sa phrase. Son regard me dit tout. Son regard retranscrit assez sa peine… sa douleur. Mes yeux s’emplissent de larmes en même temps que les siens et je le prends dans mes bras. C’est fou comme on oublie vite les colères quand une douleur sans nom s’abat sur nous. Heartie est partie… ma cousine est partie…
Comments