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  • Photo du rédacteurSakina Traoré

La voix du cœur : 13, 14 & 15


XIII - Mon déclic


*Eli*



Déjà une semaine s’est écoulée depuis ma dispute avec Line et ma sœur. Depuis, l’atmosphère est lourde chez moi et il faut dire que ça n’arrange pas mon humeur. Line continue de s’occuper de la maison et de moi, même si je sens qu’elle a de plus en plus de mal à me comprendre et à rester près de moi.


D’ailleurs, elle a commencé son nouveau boulot depuis deux jours. Je la vois les matins se lever avant même le soleil, ranger la maison, faire à manger et se doucher avant de partir.


À chaque fois, j’ai envie de l’attirer à moi, de retrouver la chaleur de ses bras, de déposer des baisers sur chaque bout de peau exposé par ses jolies tenues, de lui dire à quel point elle me manque… à quel point je me manque… mais c’est au-dessus de mes forces. Je n’y arrive pas.


Je fais semblant de dormir jusqu’à ce qu’elle parte et je me laisse encore happer par le sommeil parfois jusque bien après midi.


Aujourd’hui, heureusement, je n’ai pas de tâches qui nécessitent que je sorte de chez moi. Je glande dans mon lit pendant des heures, essayant de trouver la force en moi de me lever et de me doucher, mais rien n’y fait.


Du coup, je me tourne et me retourne dans mon lit, les pensées virevoltant dans mon esprit sans que je ne puisse en capturer aucune. Je me sens vide, épuisé et anesthésié de toute émotion.


Le soleil est en train de décliner là-haut quand j’entends mon téléphone sonner. Je devine qu’il est presque 17h aux couleurs que prend le ciel et je me demande qui peut bien m’appeler aujourd’hui.


Décrocher les appels est devenu un exercice beaucoup trop difficile pour moi alors je laisse la personne s’épuiser à faire vibrer mon téléphone sans esquisser un seul geste pour voir qui c’est.


Quand au bout de trois ou quatre appels, mon téléphone redevient enfin silencieux, je trouve en moi la force de me lever. Je fais le lit aussi bien que mon état amorphe me le permet et je vais prendre une douche rapide.


Quand je sors de la salle de bains, j’enfile un bermuda et un tee-shirt bleu ciel avant d’entrer à la cuisine. Je réchauffe le reste de pizza que Line a rapporté du boulot hier et je me pose devant la télévision pour voir le résumé des matchs de la journée.


Je me laisse absorber par l’écran et sans m’en rendre compte, une fois mon émission terminée, je zappe pour me laisser emporter par un film nigérian qui me semble durer trois bonnes heures… King of boys, ça s’appelle.


Quand je réussis enfin à décoller mon derrière du sofa, soufflé par l’excellente œuvre de cinéma que je viens de voir, il est 23h. Je jure alors en me rendant compte que Line n’est toujours pas rentrée.


Généralement, elle est toujours à la maison au plus tard à 20h. Et quand elle a un contretemps, elle ne manque jamais de m’appeler pour m’en informer.


Inquiet, je me dirige vers la chambre où j’ai laissé mon téléphone toute la soirée. J’attrape l’appareil et je le déverrouille pour trouver 4 appels manqués de Line vers 17h et 5 appels manqués de Nathalie environ une heure après. J’ai l’impression que mon cœur descend littéralement dans ma poitrine.


Je rappelle Line, mais son numéro est injoignable. J’essaie deux, trois, quatre fois sans succès. Je m’apprête à lancer le numéro de Nathalie, au bord de la panique, quand je me rends compte que cette dernière m’a laissé une note vocale sur WhatsApp.


Je clique à peine sur le bouton "Play" que sa voix, aigüe et furieuse, se fait entendre dans la pièce. Elle a l’air essoufflé :


“ Eli ? Eli, tu es sérieux ? Depuis combien de temps on essaie de te joindre ? Donc si j’avais été injoignable cet après-midi, ma copine serait morte hein ? Eli, après tout le temps qu’elle t’a consacré, tu n’es pas fichu de faire un effort et décrocher ses appels ? Être là quand elle est en danger juste à côté de toi ? C’est bien ! ”


Ses mots me glacent littéralement le sang. Danger ? Morte ?


Fébrile, les mains tremblantes, je sors de la chambre en trombe en lançant le numéro de Nathalie. Pendant que ça sonne, j’attrape mes clés et mon portefeuille et je sors de chez moi.


● Quoi ? Répond-elle après avoir décroché.


● Nathalie, qu’est-ce qui s’est passé ?


● Oh maintenant ça t’intéresse ?


● Nathalie, s’il te plaît ! Je suis désolé, okay ? Je te promets que ça ne se reproduira plus, mais je t’en prie, dis-moi où elle est, si elle va bien, ce qui s’est passé !


● Hum…


Elle soupire un instant et se met à parler au moment où je monte dans ma voiture :


● Elle a été agressée par un chauffeur de taxi.


● Quoi ? Putain de merde ! Elle va bien ? T’es avec elle ?


● Évidemment que je suis avec elle ! Quand elle m’appelle, moi je lui réponds ! Quand elle a besoin de moi, je suis là malgré mes états d’âme !


Je ne réponds pas, avalant difficilement la boule de culpabilité qui se forme dans ma gorge. À l’autre bout du fil, j’entends Nathalie respirer profondément comme pour se calmer et reprendre la parole :


● Elle est chez moi, elle dort. Nous sommes rentrées de la police il y a trente minutes environ. Elle va bien.


● Okay, j’arrive tout de suite.


Je raccroche sans attendre sa réponse et mets le contact de la voiture. Je démarre en trombe et arrive chez elle en moins de dix minutes. Je sens que je vais recevoir beaucoup de SMS des radars de la ville, mais je m’en fiche…


Quand j’arrive dans la nouvelle résidence où Nathalie a emménagé il y a quelques semaines, tous les appartements sont plongés dans le noir. Je salue le gardien qui me demande qui je viens voir. Puis il ouvre le portail et me dit qu’elle m’attend.


Je monte les escaliers quatre à quatre et je trouve la porte de l’appartement de Nathalie entrebâillée. Je la pousse doucement et j’entre sans faire de bruit. Mes yeux tombent immédiatement sur Line qui dort dans le fauteuil. Je referme alors la porte et me précipite vers elle.


J’arrive à peine à son niveau quand je vois Nathalie émerger de la cuisine avec un plateau sur lequel trône un verre et une bouteille d’eau. Elle le pose sur la petite table basse devant le canapé alors que je caresse le visage de la jeune femme qui ouvre les yeux presque tout de suite.


Nos regards se croisent, s’accrochent et la culpabilité m’étouffe encore plus fort alors que les larmes remplissent ses yeux.


● Eli… dit-elle en fondant en larmes.


● Je suis désolé bébé… Je te demande pardon…


Je me rapproche un peu plus d’elle et je la prends dans mes bras. Alors qu’elle enfouit son visage dans mon cou, l’hématome que j’y ai vu me laisse sans voix. Mon amour, ma Line s’est fait agresser et je n’ai pas su surmonter mon mal-être pour la protéger.


● Je suis tellement désolé...


Je répète pour la énième fois ces mots et elle ne répond rien… alors je la laisse pleurer tout son soûl quelques minutes. Quand elle se reprend enfin, elle redresse la tête vers moi et je lui caresse doucement le visage avant de lui demander ce qui s’est passé.


● C’est un chauffeur de taxi qui m’a agressée, me répond-elle.


● Seigneur… c’est ce que Nathalie m’a dit, mais je ne comprends pas. Il était ivre ? Drogué ? Il t’a prise pour quelqu’un d’autre ?


● Non… pas ivre en tout cas, sinon je l’aurais senti. Il a juste pété un plomb parce qu’en commandant le taxi via l’application, j’ai décidé de payer avec la carte djamo que tu m’as offerte… donc quand on a terminé la course et que je me suis éloignée sans lui donner de cash… je ne sais pas, il a démarré au quart de tour.


● Mais il est malade ce gars ! Il est où ? je demande, rouge de colère.


● En prison, me répond Nathalie. On a tout géré puisque tu n’as pas daigné te montrer à temps.


● Nathalie… l’interpelle Line, mais je sais que cette dernière a raison. Il m’a… giflée… deux fois, elle ajoute. Avant de se servir dans mon portefeuille, de me lancer mon sac à main au visage et de partir, en trombe.


● Merde…


● Heureusement, il n’avait pas pris mon téléphone. J’ai essayé de t’appeler pour que tu viennes me chercher, mais tu ne décrochais pas alors j’ai appelé Nathalie. Elle m’a emmenée à l’hôpital puis au commissariat pour porter plainte et avec les infos qu'on a récupérées dans l’application, ils ont pu l’interpeller même pas trente minutes plus tard.


Ne sachant quoi dire, bloqué par la peur, le soulagement et la culpabilité, je la reprends dans mes bras et lui murmure encore et encore que je suis désolé, que ça ne se reproduira plus et que je ferai des efforts. Pour elle. Pour nous.




XIV - Notre engagement


*Cinq mois plus tard, Eli*



Il est 23h30 et je rentre enfin chez moi. Je viens de boucler l’émission du jour et puisque ma voiture est au garage, j’ai commandé un Uber qui vient d’arriver au bas de l’immeuble.


J’éteins les lumières et quand je débranche le téléphone de la salle avant de sortir, je ne peux empêcher mon esprit de s’évader et de voguer vers la jeune femme qui a cadenassé mon cœur, juste avec sa voix.


Je pense à Line, que je vais retrouver dans mon lit ce soir, ce corps chaud et doux contre lequel je vais m’endormir, en homme heureux que je suis. La femme merveilleuse qui chaque matin depuis le début de ma thérapie m’envoie une note vocale pour me dire combien elle m’aime et me laisser des mots d’encouragement. Et ce, peu importe qu’on ait passé la nuit ensemble ou pas.


Je pense à elle et pendant tout le trajet, je réalise à quel point je me sens chanceux depuis quelques mois. Même s’il a fallu ce malheureux incident pour provoquer le déclic en moi, je me félicite de l’avoir écoutée et d’avoir commencé une thérapie.


Je n’oublierai jamais à quel point ça a été difficile pour moi d’admettre que je n’allais pas bien mentalement et que j’avais besoin d’aide. Comment accepter que j’avais, en tant qu’adulte, en tant que noir, en tant qu’HOMME … une maladie mentale ? Ou une maladie de blanc comme on nous le rabâche à tort ici ?


Mais même si c’était compliqué, ce n’était rien par rapport au sentiment de culpabilité que j’ai ressenti en retrouvant Line blessée et traumatisée ce soir-là.


Depuis quelques mois donc, deux fois par semaine, je vois une psychologue, Docteur Cuny. Elle m’aide à libérer mes pensées, à distinguer et à formuler ce que je ressens, à démêler ce qui me met dans cet état et je me rends compte que la première cause de toute cette douleur que j’avais essayé d’anesthésier était la mort de ma mère et toute la honte que j’avais accumulée vis-à-vis d’elle.


Je m’en voulais de ne pas avoir passé assez de temps avec elle, de ne pas m’être rendu compte de sa maladie plus tôt, de ne pas avoir pu la sauver… et le fait d’avoir réussi à sortir Line de prison avait renforcé cette culpabilité que je ressentais et que j’avais essayé d’étouffer pendant des années.


Si j’avais pu sauver Line, pourquoi n’avais-je pas pu faire pareil pour ma mère ?


Voilà ce qui me bouffait vivant et le gros de ce sur quoi je travaille avec le docteur lors de nos séances d’une heure qui se transforment bien souvent en débat sur la vie et sa valeur.


Ces séances ont aussi sacrément amélioré ma relation avec Line. Je suis plus ouvert, plus avenant et je communique mieux. C’est fou, je pensais avoir déjà bien développé ces qualités, mais je me rends compte aujourd’hui que j’ai encore beaucoup à faire pour lui donner le meilleur de moi-même.


Aujourd’hui, je suis donc heureux de dire que tout va bien. Son boulot, en tant que responsable des stocks dans un magasin d’électronique, lui donne l’autonomie financière qu’elle voulait tellement et ça lui permet bizarrement d’accepter plus facilement mes sous.


Il y a quelques mois, je lui ai même offert une carte visa sur laquelle je dépose régulièrement de l’argent et ça me fait plus que plaisir de voir qu’elle l’utilise vraiment. Pas aussi souvent que je le voudrais, mais c’est déjà un grand pas pour nous.


J’en suis là dans mes réflexions quand on arrive enfin chez moi. J’essaie de faire le moins de bruit possible en rentrant parce que Line a le sommeil très léger. Je ferme la porte derrière moi, je laisse mes chaussures dans l’entrée et me déshabille une fois dans la chambre.


Pendant que mes vêtements se suivent les uns après les autres au sol, mon regard est irrémédiablement attiré par la jeune femme qui s’est totalement couverte avec la couette, la climatisation à fond de l’autre côté de la pièce. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui aime autant le froid.


Je l’admire quelques instants puis je vais prendre une douche bien chaude et je mets une culotte, un tee-shirt et des chaussettes roses que Line m’a offertes - ne le dites à personne - avant de me glisser dans le lit auprès d’elle.


Presqu’immédiatement, son corps fond dans le mien et nos souffles s’accordent.


Là, je suis au paradis.


*********


Trois jours plus tard.


Line et moi célébrons notre première année aujourd’hui. Je sais, généralement on prend comme date de début de la relation, le jour où on se met officiellement ensemble, mais notre relation à Line et moi est atypique, différente. Nous faisons tout, pas comme les autres.


Pour nous, cet amour a clairement commencé le jour où elle a appelé à la station pour la seconde fois, après l’émission sur les violences conjugales. On a décidé de marquer le coup et de fêter ça en amoureux.


On s’est entendus pour se faire un dîner simple, dans l’intimité de mon appartement, mais je compte bien la surprendre et marquer le coup. Ma main droite se dirige machinalement vers la poche de mon pantalon et s’enroule autour de la petite boîte qui y repose.


J’ai su tout de suite, quand j’ai pris Line dans mes bras à sa sortie de prison, que je voulais passer le reste de mes jours-là, dans la chaleur de son étreinte. J’ai su tout de suite que j’étais chez moi, enfin. Que la quête de mon cœur était terminée et que je pouvais enfin me laisser aller à aimer comme jamais je ne l’avais fait.


Je l’ai su tout de suite. Mais je savais aussi qu’il nous fallait du temps pour mieux nous connaître et instaurer des bases solides à notre relation.


Aujourd’hui, je sais que nous sommes prêts. Alors je vais faire ce que je meurs d’envie de faire depuis le premier jour, la demander en mariage.


Je ne sais pas combien de vidéos j’ai regardées sur TikTok et YouTube, mais il faut croire que j’ai bien retenu les astuces parce que j’ai réussi à faire une décoration plutôt belle dans l’appartement.


Pétales de roses, bougies parfumées, ballons en forme de cœurs, cadeaux, musique douce, repas chauds… tout est savamment disposé dans des tons de rouge, de blanc et d’or. Je n’attends plus que ma future épouse, qui doit arriver dans quelques minutes.


Comme elle est repartie vivre chez Nathalie quelques semaines après le début de ma thérapie, nous ne nous sommes pas vus depuis hier. En attendant qu’elle pointe le bout de son joli nez, je fais les cent pas dans l’entrée. Je n’arrive pas à me calmer, je ne peux même pas m’imaginer m’asseoir tellement le stress est à son comble.


C’est fou, je sais qu’elle dira oui. J’en suis persuadé parce que j’ai bien tâté le terrain. Mais même en ayant cette conviction, je crois que j’ai peur que tout ne se passe pas comme prévu.


Je viens de sortir des toilettes pour la troisième fois en dix minutes. J’ai aspergé mon visage d’eau froide et ça va un peu mieux. Je suis en train de remettre ma montre que j’avais retirée pour ne pas la mouiller quand j’entends une clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée.


J’arrête immédiatement de respirer et je reste une seconde debout là, comme tétanisé. Puis je me reprends bien vite et je vais me poser à l’autre bout du couloir.


Quand elle entre enfin, toute la déco que j’ai mis des heures à faire me semble bien fade. Dans sa robe rouge à sequins et ses talons dorés, elle est à couper le souffle. Son sourire éclatant illumine encore plus son visage savamment maquillé et je l’admire ouvertement pendant qu’elle vient vers moi, émue.


● Tu as fait tout ça tout seul ? demande t-elle, la main sur la bouche, surprise.


Je hoche la tête pour lui dire oui et elle s’arrête un moment pour effleurer du doigt un ballon à sa droite.


● Mon Dieu, c’est trop beau, Eli ! Je croyais qu’on avait dit un dîner simple !


● Pour ce que nous vivons tous les deux, je trouve que tout ceci est même bien trop simple.


À mes paroles, elle me sourit et ne dit plus rien. Elle dépose son sac sur la petite commode à l’entrée de l’appartement et vient se blottir dans mes bras. Pendant quelques instants, plus rien ne semble exister. Plus rien ne semble important.


Elle est dans mes bras, son dos collé à mon torse et nous savourons le moment en silence. Puis mes yeux tombent sur le bouquet que j’ai disposé au centre de la table et je lui demande :


  • Tu les reconnais ? dis-je en pointant les roses rouges du doigt.


  • Ce sont les roses que je t’ai fait envoyer ? me demande-t-elle , un rire dans la voix. Je n’ai pas pu les voir en vrai, la fleuriste te les a déposées directement.


  • Oui, ce sont elles. Celles qui m’ont presque foutu la honte devant mes gars.


  • Rholalaaa bébé, ne fais pas genre, je sais que tu as aimé.


J’éclate de rire alors qu’elle se retourne dans mes bras et passe les bras autour de mon cou.


  • Je savais que tu avais un brin de folie, mais de là à me faire livrer des fleurs devant mes meilleurs amis ? Au bureau ? Je n’ai pas supporté leurs moqueries, je suis parti à peine trente minutes après avoir reçu le bouquet.


  • Tu es parti avec ton bouquet, me répond-elle, parce que tu aimes secrètement les fleurs !


  • Tu es folle ! Mais en vrai, j’aime tout ce qui vient de toi.


Elle me fait un grand sourire et capture mes lèvres pendant quelques secondes, pressant son corps contre le mien.


J’avais prévu de faire ma demande après le repas, mais debout là, dans la chaleur de ses bras, je réalise que je ne tiendrai pas tout ce temps.


Quand la jeune femme se détache un peu de moi, je plonge mon regard dans le sien et lui fais mon plus beau sourire :


● Je suis tellement heureux de t’avoir enfin trouvée.


● Et moi donc…


● Littéralement chaque fois que je te vois, Line, je me sens béni. Au-delà de tout autre sentiment, je me sens béni de Dieu.


● Bébé…


● C’est la vérité. Avec toi je suis passé et je passe toujours par tellement d’émotions toutes plus exaltantes et nouvelles les unes autant que les autres. Et je ne veux jamais que ça s’arrête. Je ne veux jamais qu’on se quitte.


● Moi non plus… Je t’aime tellement. Je prie pour que rien ne nous sépare. Même pas la mort.


● Alors, épouse-moi…


Ses yeux s’ouvrent grand comme des loupes et je fais un pas en arrière pour poser mon genou droit au sol. Des larmes douces et légères débordent de ses yeux alors que je relève la tête vers elle.


● Épouse-moi Line. Je sais déjà que tu es ma côte, je veux que tu m’épouses afin que le monde entier le sache. Que tu deviennes ma femme et qu’on passe les prochaines décennies à croquer la vie à trois : toi, moi et Makeda. Et pourquoi pas à 4, à 5 ? Je suis prêt à te faire autant de bébés que tu voudras !


Elle laisse s’échapper un petit rire et avant que je n’aie pu reprendre la parole, se jette à genoux devant moi et m’embrasse.


● Oui… oui, oui, oui, oui, oui… mille fois oui, Eli. Bien sûr que je veux t’épouser !


Je lui passe la bague au doigt entre deux baisers et nous restons comme ça, sur le sol de mon appartement, un bon moment. Puis elle se détache de moi et en la contemplant, je ne peux m’empêcher de lâcher :


● Merde… tu es tellement belle ! Je serais capable de t’emmener chez le Maire en catimini demain pour t’épouser !


Le rire auquel je m’attends en faisant cette blague ne vient pas. Ni la petite tape qu’elle me fait toujours sur l’épaule quand je dis quelque chose de drôle. Au contraire, son visage se ferme et je vois une nouvelle larme couler, lourde celle-là… pleine de douleur.


● Eh… bébé, qu’est-ce qu’il y a ?


● Je… oh mon Dieu, comment j’ai pu oublier ça ?


Elle crie presque en se relevant brusquement. Je me remets également debout et je la regarde tourner en rond, comme un lion en cage.


● Line ? Bébé, qu’est-ce qu’il y a ?


● Je ne peux pas t’épouser, Eli ! fait-elle, un gros sanglot dans la voix.


● Quoi ? Mais de quoi tu parles ?


J’entends sa réponse mais ses mots se perdent dans ses sanglots et je n’y comprends rien.

Je vais la reprendre dans mes bras et la bercer comme une enfant, pendant qu’elle pleure encore et encore, semblant se libérer de blessures toujours vivaces dans son esprit.


● Je t’en prie bébé, calme-toi et dis-moi ce qu’il y a. On va trouver une solution.


Le visage toujours fourré dans mon cou, je l’entends soupirer bruyamment puis relever la tête et répéter :


● Je ne peux pas t’épouser Eli, je suis déjà mariée.


Puis ses sanglots repartent et je suis, une fois de plus en cette longue soirée, complètement tétanisé.




XV - Son histoire


*Eli*



Nous sommes installés dans le canapé depuis une dizaine de minutes. Sur la table à manger, la nourriture refroidit pendant que j’attends, dans le silence, que Line me donne plus d’explications sur ce qui se passe.


Elle est assise à mes côtés, en train de triturer la bague que je lui ai mise au doigt quelques instants plus tôt… avant qu’elle ne m’annonce qu’elle est déjà mariée. Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire?


● Bon… dit-elle enfin, dans un soupir. Je crois que j’ai voulu très fort, oublier mon histoire avec le père de Makeda, faire comme si elle n’existait pas, prétendre qu’il n’y a que ma fille et moi… et toi aussi maintenant. Mais il faut que je te raconte ce qui s’est passé une bonne fois pour toutes.


● Je t’écoute…


Je lui réponds en prenant ses mains dans les miennes, sentant son corps se crisper à l’évocation de ce pan de son passé.


● Comme tu le sais déjà, Eric, le père de Makeda me battait. Je l’ai rencontré quelques mois avant l’obtention de mon BTS à l’Université de Bouaké. C’est un expatrié, un Belge qui est arrivé là dans les années 90 et n’est plus jamais reparti.


Il y avait une bonne dizaine d’années entre nous. Au début, il était charmant, patient, doux… je suis tombée sous le charme de ses yeux bleus, de ses boucles blondes et de ses attentions. Très vite, je me suis retrouvée sous son joug et notre histoire a dérapé aussi rapidement qu’elle a démarré.


J’avais remarqué, au début, qu’il était parfois très violent et très blessant dans ses mots. Mais je lui trouvais toujours des excuses… Il est jeune, il ne sait pas gérer sa colère, c’est moi qui ne suis pas assez soumise… Bref, je me suis convaincue qu’avec plus de temps et de patience, il deviendrait meilleur. Qu’on deviendrait meilleurs ! Mais ça n’a pas été le cas.


Eric m’a demandé de l’épouser environ huit mois après le début de notre relation. Et j’ai dit oui… j’ai dit oui parce que je ne voyais pas d’autre issue à ma vie. J’étais au chômage, sans famille et sans soutien à part la pauvre Nathalie avec laquelle on se débattait chaque jour pour avoir le pain quotidien. Au moins, avec Eric, les finances ne seraient plus un problème pour nous. Il m’a donc emmenée à la mairie un jeudi matin et nous avons scellé les choses.


Mais la fin de la lune de miel a sonné le début des coups. Et ils pleuvaient de partout. Pour toutes les raisons. Sur toutes les parties de mon corps.


Au début, je l’ai caché à Nathalie. Mais on ne peut rien cacher longtemps à une meilleure amie. Dès l’instant où elle l’a su, elle a tout fait pour que je le quitte. Que je m’en aille. Mais pour aller où ? Faire quoi ? Il était mon époux et j’avais juré de rester à ses côtés… pour le meilleur et pour le pire.


À l’époque, je ne savais pas. Je ne savais pas que le pire, c’était les épreuves de la vie. Les coups durs du quotidien, pas les coups reçus de l’être aimé.


Bref, j’ai enduré ce calvaire pendant presque un an. Jusqu’à ce que je tombe enceinte de Makeda et que ça me donne le déclic dont j’avais besoin pour m’enfuir. Je pouvais supporter la violence d’Eric, mais jamais, au grand jamais, je n’aurais accepté que mon enfant subisse ça.


J’avais pourtant pris toutes les précautions qu’il fallait à son insu, mais ce bougre avait réussi à me mettre enceinte. Alors cette fois-là, quand les deux barres sont apparues sur le test de grossesse, c’est moi qui suis allée supplier Nathalie pour qu’on s’en aille toutes les deux.


Je n’avais rien préparé, et quelque part, je pense que c’est ce qui nous a aidées à nous enfuir sans qu’il nous retrouve. On est parties sur le champ, sans avoir de plan, sans savoir où on s’arrêterait.


Nathalie, mon petit ange gardien à moi… avait commencé à mettre de l’argent de côté dès qu’elle a su qu’Eric me battait. C’est ce jour-là que je l’ai su.


Elle m’a dit “je savais qu’un jour tu reviendrais à toi et qu’on aurait besoin de fonds pour recommencer notre vie ailleurs” et c’est ce qu’on a fait.


On a laissé tous nos bagages là où ils étaient, on a acheté des burqas (voile intégral) au marché qu’on a enfilé pour que les gens de la ville ne nous reconnaissent pas… au risque qu’ils donnent des indices à Eric quand il commencerait à nous chercher.


On a pris le premier car qu’on a pu trouver à UTB et c’est comme ça qu’on s’est retrouvées à Dabou d’abord. Puis à Abidjan, environ une année après. Et voilà…


Quand elle se tait après ce récit plus que rocambolesque, je recommence enfin à respirer. Elle et moi, on ne s’est jamais vraiment appesantis sur le sujet du père de Makeda. Elle m’avait juste dit qu’il n’était plus dans leurs vies à cause de sa violence et je n’avais pas posé plus de questions que ça.


● Et donc tu n’as jamais pu divorcer.


● Non… ça aurait été du suicide de tenter ça.


● À l’époque, oui. Mais aujourd’hui, je suis là pour toi ! Et tu peux divorcer sans son accord, sans qu’il ait à signer quoi que ce soit…


● Sérieusement ?


● Sérieusement…


● Il n’en saura jamais rien ?


● Bon… enfin, il recevra probablement une notification du tribunal à la fin de la procédure…


À ces mots, elle ouvre grands les yeux et la terreur que je lis dans ses prunelles me comprime le cœur.


● Eh… Line…


Je chuchote en lui caressant le dos.


● Non Eli… écoute, tu dois comprendre que cet homme me battait parfois jusqu’à pointer son arme sur ma tempe et jouer à la roulette russe avec ma tête ! Il était complètement taré ! On ne peut pas faire ça !


● Merde… Line.


● Je t’en prie, laissons les choses comme elles sont. On peut vivre ensemble et s’aimer jusqu’à la fin de nos jours sans passer par la case mairie. Ça n’enlèvera rien à notre amour !


● Je sais… C’est juste que j’ai tellement rêvé de ce jour…


● Je suis désolée… J’aurais dû te le dire plus vite, mais j’ai tellement tout fait pour laisser Eric loin derrière moi que j’ai fini par… oublier cette partie de l’histoire. Le mariage, je veux dire.


● Je comprends.


Les images de son récit défilent à toute vitesse dans ma tête et je ne sais pas quoi ajouter. J’ai l’impression de suffoquer soudainement. Alors je me lève du canapé et vais me poster devant la baie vitrée, les yeux rivés sur les lumières du Plateau.


Je m’attèle à calmer ma respiration, à trier toutes les informations qui me vrillent maintenant l’esprit et à prendre la décision qu’il faut, compte tenu de ce que je sais aujourd’hui.


● On va quand même se marier, lui dis-je en me retournant pour la regarder, plongée dans l’admiration de son solitaire.


● Quoi ? me répond-elle perplexe. Tu n’as pas écouté ce que j’ai dit ou quoi ?


● Si et maintenant c’est à toi de m’écouter, lui dis-je en revenant prendre place à ses côtés. On va se marier quand même. Pas devant un maire, malheureusement. Mais devant Dieu et devant nos proches. On va célébrer notre engagement et notre vœu de vivre ensemble… et ce sera tout aussi beau, tout aussi important qu’un mariage légal.


● Eli…


● Line, tu veux toujours m’épouser, n'est-ce pas ?


● Oui… sans aucun doute.


● Alors on va le faire. Rien que toi, moi, notre fille et nos proches. On n’a besoin de rien ni de personne d’autre pour ça.


Comme elle ne dit rien, j’écrase la larme qui roule lentement sur sa joue droite et je l’embrasse. Puis je la prends dans mes bras et nous restons ainsi un long moment sans parler, jusqu’à ce qu’elle se mette à rire, comme un peu éméchée, et qu’elle crie “ Je vais devenir Madame Touboue, allez dire !”.


Je pars dans un éclat de rire avec elle et il me semble que le monde tourne rond, de nouveau.

*********


C’est le jour J, Line et moi allons nous “marier”.


Pour cette petite cérémonie intimiste au bord de l’eau, nous avons engagé une wedding planner qui s’est occupée de tout, de A à Z. La décoration est faite dans des tons d’orange et de crème.


Vingt chaises ont été disposées en rond autour de la petite estrade où ma chérie et moi allons échanger nos vœux. Tout est très beau et simple, exactement comme on l’a voulu.


Il est 16h40 quand Maël revient du lieu de réception pour nous dire que tout est fin prêt et qu’on pourra bientôt y aller. Je suis… serein. Contrairement au jour de la demande en mariage, je me sens posé, zen.


J’en viens même à me demander si le stress de la dernière fois n’était pas dû à un pressentiment par rapport à la massue qui m’est tombée sur la tête.


Avec mes gars, on fait une petite prière puis on porte un toast avant de sortir de la suite qu’on occupe dans la résidence quand la wedding planner nous fait signe par message.


Je marche devant, suivi par mes deux meilleurs amis, un sourire idiot illuminant mon visage. Ce sera une belle cérémonie, une cérémonie qui nous ressemble.


De l’autre côté du set mis en place pour notre mariage, je vois aussi Line arriver, suivie de Nathalie et de Makeda.


Mon cœur rate un battement, cette femme dégage une lumière, une douceur et un charme qui m’émerveilleront toujours. Sous le petit voile à chapeau qui cache une partie de son visage, je vois son sourire. Et il m’apaise encore plus.


Quand nous sommes enfin l’un en face de l’autre, mes mains cherchent instinctivement les siennes, les trouvent et les agrippent, si fort qu’on dirait qu’elles ne les lâcheront jamais.


Je pose un baiser sur son front alors qu’elle ferme les yeux et je lui chuchote que je l’aime. Elle me répond par un sourire encore plus éclatant et nous rompons le contact alors que Kelvin prend la parole. Quand je me tourne enfin vers nos invités, voir mes sœurs au premier rang me tire presque des larmes.


Malgré toutes leurs occupations, elles sont arrivées en trombe à l’annonce de mes fiançailles et de la date précipitée de notre petite cérémonie. De leurs places, elles me font des coucous enthousiastes de la main et m’envoient des baisers volants auxquels je réponds.


Kelvin fait son petit discours, remercie tout le monde d’être venu, réexplique que pour des raisons personnelles, nous avons choisi de ne pas nous marier devant le maire, mais de faire une petite célébration avec nos proches. Puis il nous donne la parole afin que nous prononcions nos vœux.


● Eli… Quand j’étais petite, je rêvais d’un prince charmant, d’un chevalier qui viendrait par une nuit étoilée, me délivrer des chaînes de la tristesse, du manque d’amour, de la dépression, de la pauvreté, je priais chaque soir pour trouver très vite un homme qui m’aimerait et me sauverait de la cruauté du monde.


Et puis, il semblerait que la vie s’est attelée à me faire croire que je ne pouvais compter sur personne. Personne d’autre que Nathalie, j’entends. Surtout pas un homme. J’ai été blessée, humiliée, rabaissée, mal-aimée… au point où j’ai dû devenir mon propre prince charmant pour me sortir de là.


J’avais perdu toutes mes illusions et je me suffisais de cette vision de la vie où je n’avais pas besoin d’un homme pour me sentir mieux. Pour me sentir protégée.


Mais toi… toi tu as été un tournant décisif dans ma vie. Toi, tu as été l’une des meilleures décisions que j’ai prises dans ma vie. Toi, tu m’as prouvé que l’amour, le bon, ne nous entravait pas, mais nous donnait des ailes. Tu m’as prouvé que l’amour, le vrai, ne nous contrôlait pas, mais nous donnait plus de liberté pour exprimer notre individualité.


Je t’aime Eli et je te promets de toujours être là. De toujours te préparer des petits-déjeuners gargantuesques quand tu reviendras de tes longues nuits au studio. De toujours trouver le chemin de tes cuisses et de m’y installer pendant que tu tentes de te concentrer sur tes dossiers. De te donner tout ce que je peux de moi et de t’accompagner dans la réalisation de tous tes rêves.


Je suis ta partenaire, pour la vie. Et même après.


Elle se hisse sur la pointe des pieds et je suis tellement ému que je n’ai pas le réflexe de me baisser vers elle pour faciliter son baiser. Alors toute la salle éclate de rire en la voyant sautiller pour m’embrasser.


● Line… je suis tombé amoureux de toi, au son de ta voix. Ce timbre si rauque et si chaud à la fois, il s’est frayé un chemin vers mon cœur la première fois que je t’ai entendue.


Et depuis, je n’ai voulu qu’une seule chose, que mon corps ne quitte plus jamais le tien. Que mon âme reste emboîtée dans la tienne pour le reste de nos jours.


Je t’aime mon bébé. Et je te promets de toujours te le prouver, de toujours donner de l’impulsion à tes rêves, de toujours faire que mes yeux te reflètent ta beauté, ta grâce et ta force.


Je suis ton partenaire pour la vie. Et même après.


********


*Deux semaines plus tard, Line*

Je rentre à la maison, les mains chargées de courses. Eli et moi sommes rentrés de notre “lune de miel” il y a trois jours et les tiroirs de la cuisine sont totalement vides. Du coup, je suis allée au supermarché nous acheter de quoi nous nourrir pendant au moins une semaine, le temps de pouvoir aller à Cocovico faire un vrai marché.


Alors que je referme la portière du taxi derrière moi, mes yeux tombent sur le tatouage que j’ai à l’annulaire gauche, juste sous ma bague de fiançailles. En forme d’e manuscrit, il s’enroule autour de mon doigt et fait ressortir l’éclat de la pierre de mon anneau. Il est si beau.


Chaque jour, en le contemplant, je me répète à quel point je suis contente qu’Eli et moi ayons choisi de nous tatouer l’initiale de nos prénoms respectifs sur nos annulaires. Je trouve ça tellement plus symbolique…


Environ une minute après que le taxi m’ait déposée, j’arrive devant la porte de l’appartement que je trouve entrouverte. Je sens l’agacement monter en moi directement :


● Eliiiiiii ? Babe, combien de fois il va falloir que je te dise de faire attention à bien fermer la porte derrière toi quand tu rentres ? Tu connais bien tes voisins, mais tu ne connais pas leurs visiteurs hein.


Aucune réponse. Mais j’entends la musique jouer dans le salon alors je me dis qu’il doit être dans la chambre.


● Eliiiiii ! Viens m’aider avec les courses s’il te plaît…


Ce n’est que quand j’arrive dans le salon que je remarque qu’il y a quelqu’un qui est assis là. La main tenant la télécommande de la chaîne hifi. La tête penchée en arrière, détendue… et des mèches blondes que je reconnaîtrais entre toutes.



Alors alors, à ton avis, qu'est-ce qui s'est passé ?


RDV samedi pour le DERNIER CHAPITRE hihi, enfin !


Tu connais la chanson, n'hésite pas à la partager, à la commenter ou juste à laisser un like, ça m'encouragerait beaucoup.


La bise,

Sakina.

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