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  • Photo du rédacteurSakina Traoré

La voix du cœur : 10, 11 & 12


X - L'anniversaire


*Eli*



“ Les parents ont beaucoup plus d’expérience que nous sur les choses de la vie, c’est indéniable. Mais il est aussi important de garder en tête que l’époque actuelle est la nôtre.


Ils en connaissent peut-être les réalités, mais nous… nous sommes les seuls à les vivre et à les expérimenter réellement. Donc je dirais qu’il faut un équilibre entre guider son enfant et le laisser choisir tout en l’accompagnant. Il faut un équilibre entre écouter les conseils de ses parents et faire ses propres choix.”


J’écoute la dernière intervenante du jour donner son point de vue avec passion et entrain. On sent que le sujet lui tient à cœur et il y a très peu de choses que j’aime plus en dehors du fait de donner l’opportunité aux gens de s’exprimer librement.


Pendant quelques minutes, elle et moi donnons le change puis j’essaie du mieux que je peux de résumer tout ce qui s’est dit pendant l’émission sur le thème du jour. Je donne rendez-vous aux auditeurs le lendemain sur le blog pour un récapitulatif en mots du numéro du jour ; une nouveauté que j’ai fait adopter à la chaîne il y a quelques semaines.


Puis je mets la sélection zouk du soir et je range mes affaires avant de rentrer. La nuit est silencieuse comme tous les dimanches quand le noir du ciel enveloppe la ville. Je rallie la maison en une quinzaine de minutes et je retrouve Line dans mon lit après une bonne douche froide. Son corps contre le mien, je m’endors comme une masse après cette journée chargée.


*******


Je suis réveillé le lendemain par des notes de musique qui s’élèvent dans la chambre à coucher. Je me tourne et me retourne quelques fois dans mon lit avant d’ouvrir les yeux et lentement, mon cerveau reconnaît la chanson qui passe.


“ La première fois que tu as ouvert les yeux

À cet instant Dieu exauça mon vœu

Te serrer contre moi était mon seul réconfort

Oh oui mon bébé, c'était toi mon or ”


Je reste là, interdit à égrener mentalement les paroles de “L’amour d’une mère” de Patience Dabany. Sa voix me rappelle des souvenirs uniques et m’arrache un sourire triste. Je revois ma mère assise à côté de mon lit certains soirs, me chantant cette chanson pour me dire à quel point elle m’aimait avant que je ne m’endorme.


Pendant les quatre minutes et quelques que dure la chanson, je n’ose presque pas bouger de peur de gâcher l’atmosphère unique de l’instant. Je reste couché là, plongé dans nos derniers instants à tous les deux… me demandant ce que j’aurais bien pu faire pour qu’elle soit encore parmi nous.


La porte de la chambre s’ouvre sur Line alors que la chanson disparaît dans ses dernières notes. Avec un sourire doux, elle entre dans la chambre, un plateau chargé dans les mains.


Je me redresse lentement en admirant ses jambes galbées, ses cheveux en bataille et sa peau qui brille presque dans la pénombre.


Elle pose le plateau à mes côtés et je peux y voir du café, une omelette, du jambon et du fromage comme je les aime et une corbeille de fruits. Avec précaution, elle se penche ensuite vers moi et pose un baiser sur mes lèvres sans rien dire. Puis elle se dirige vers les rideaux de la baie vitrée qu’elle ouvre en grand avant de revenir vers moi.

  • Tu t’en es souvenue… lui dis-je, en la regardant ajouter du sucre à mon café.

  • Évidemment que je m’en suis souvenue. Quel genre d’amoureuse je serais, si j’oubliais ce genre de choses ?

Elle me tend la tasse et je la lui prends des mains avant de poser un baiser sur sa paume droite.

  • Tu es un ange.

  • Parce que je suis au paradis avec toi.

  • Et romantique en plus ! Tu as les vraies TAP ma petite !

Dans un rire mélodieux, elle pousse ma tasse vers mes lèvres pour que je boive mon café et arrête de l’embêter. Pendant quelques secondes, elle ne dit rien et se contente de m’observer alors que j’avale le breuvage à petites gorgées.


  • Comment tu te sens ? me demande-t-elle quand je repose la tasse.

  • Triste… j’espérais vraiment ne pas être dans ce mood cette année.

  • Mais c’est normal Eli… ça ne fait que trois ans que ta maman est partie. Et ce n’est pas pour te faire peur, mais la tristesse ne part jamais vraiment. Parfois, elle s’atténue, parfois elle revient en force comme aux premiers instants.


Je ne réponds rien et elle se contente de poser une main sur la mienne dans le lit. Elle la presse rapidement et attrape la fourchette dans le plateau avant de commencer à couper une bouchée de l’omelette.


  • Je t’emmène en date aujourd’hui, reprend-elle en fourrant la fourchette dans sa bouche.

  • Mais eh ! Ce n’est pas mon omelette ça ? Et tu m’emmènes où ?

  • C’est notre omelette, bébé. Tout ce qui est à toi est à moi, ce n’est pas ce que tu me répètes tous les jours ?

  • Pour mon argent, oui. Mais pas ma bouffe !

  • Eh, quelque chose que j’ai cuisiné moi-même ?

  • Raison de plus !

Je lui réponds en attrapant l’assiette et je lui arrache doucement le couvert des mains.


  • Pfff les hommes ! Tous les mêmes !

  • Ouais c’est ça, je lui réponds la bouche pleine. Sinon, tu ne m’as pas répondu, tu m’emmènes où ?

  • C’est une surprise. Finis ton petit-déjeuner, prends ta douche et on décolle !


Pendant quelques secondes, je ne sais pas quoi dire. Je me contente de manger en la regardant, infiniment reconnaissant.


  • Quoi ? me demande t-elle brusquement, un peu gênée de mon regard insistant sur elle.

  • Rien. Enfin, si. Je suis infiniment reconnaissant de t’avoir dans ma vie. Merci de faire tout ça aujourd’hui pour moi.

  • Si tu veux vraiment me dire merci, donne-moi une partie de ton plat, bébé.

  • Même pas en rêve !


Sur ces mots, elle ressort de la chambre en riant et me lance un “je t’aime” chantonnant avant de refermer la porte derrière elle. Je l’entends s’affairer dans la cuisine à nettoyer et à faire la vaisselle. Quand je finis d’engloutir mon repas, je l’y retrouve et je lave mes assiettes pendant qu’elle nettoie le sol. Ensuite, on se retrouve tous les deux dans la salle de bains pour prendre une douche.


Trente minutes plus tard, nous sortons de l’appartement, tous les deux vêtus d’un short cargo et d’un tee-shirt. Une fois dans la voiture, Line me guide à travers la ville sans me dire où nous allons. Je décide de jouer le jeu et de ne poser aucune question, mais ma curiosité atteint son comble quand nous sortons de la ville en direction de l’aéroport.


  • On va où ? À l’aéroport ?

  • Peut-être ! me repond-elle, avec un sourire espiègle.

  • Mais… on n’a pas pris d’affaires ni nos passeports… on ne sort pas du pays, alors ?


Elle se met à rigoler et se moque de moi alors que je continue sans interruption avec mes hypothèses, mes interrogations et mes suspicions. Puis nous arrivons à ce qui ressemble à une aérogare et je suis encore plus perplexe en voyant une pancarte indiquant “Aéroclub d’Abidjan”.


Je gare sur une des places de parking disponibles puis Line guide la marche encore une fois vers le bureau d’accueil. Une fois devant, un jeune homme vient à notre rencontre et nous salue chaleureusement.


  • Bienvenue à l’aéroclub d’Abidjan ! Prêts pour découvrir la ville depuis le ciel ?

  • Quoi ? dis-je, les yeux grands ouverts. On va faire quoi ?

  • On va voler bébé ! Line m’explique en m’enlaçant la taille de ses bras.

  • Je ne comprends pas…

  • Eh bien très peu de gens le savent, mais il est possible de faire le tour de la ville en avion… un tout petit avion, mais un avion quand même !

  • Eeeh Seigneur ! Quand on vous dit d’avoir les vraies chéries !

  • Tu es fou ! Tu sais que c’est ton argent qui paie ça non ? J’ai enfin utilisé la carte djamo que tu m’as prise.

  • Et ça me rend doublement heureux ! Tu es la meilleure !

  • Je sais… la meilleure pour le meilleur. Je voulais qu’on fasse ensemble une activité qui te permettrait de te détendre et de te vider l’esprit.

  • Et ce que tu as déniché est parfait, Line. Je t’aime…

  • Oh tout de suite les grands mots ! Allez, viens, on va s’envoyer en l’air !


*******


Pendant la demi-heure qui suit, posé à côté de la femme que j’aime, je découvre la ville d’Abidjan sous une autre couture. Le bleu de l’eau et du ciel, le blanc des nuages, le jaune du sable, le vert des arbres… toutes ces couleurs de la nature s’imbriquent les unes dans les autres pour effacer le gris de cette journée.


J’arrive à repenser à ma mère, à nos journées à la plage, à notre vie de famille et à son départ sans que les larmes dévalent mon visage. La tête posée sur mon épaule, Line contemple le même spectacle que moi, sa main caressant la mienne a un rythme lent et rassurant. Je me sens toujours triste, mais aussi étonnamment léger… et j’espère vraiment qu’il en sera ainsi jusqu’à ce que cette période passe.


Quand nous retournons sur la terre ferme, je laisse Line aller régler la facture pendant que je m’isole un petit instant pour appeler mes sœurs comme elle me l’a suggéré. Je lance l’appel vidéo dans notre groupe WhatsApp et leurs visages apparaissent bientôt à l’écran.


Celui de ma petite sœur est un peu boursouflé tandis que mon aînée affiche un sourire volontaire sur un visage triste.

  • Ça ne va pas fort hein les filles, je vous ai connues plus belles que ça !

Leurs rires me mettent du baume au cœur et nous passons les cinq minutes suivantes à nous réconforter les uns les autres. Pour ne pas qu’elles s’inquiètent trop de leur côté, je fais semblant d’être de meilleure humeur que je ne le suis vraiment. Je leur rappelle à quel point je les aime avant de raccrocher et de retrouver Line à la voiture.


Nous rentrons sur Abidjan dans un silence doux et pensif. Perdu dans mes pensées, j’essaie de garder la tristesse à quai et de m’enfuir loin vers de meilleures émotions. Je repense à ma matinée, au vol, et je fais le vœu d’aller mieux, dans pas longtemps.





XI - Ma prison


*Quelques semaines plus tard, Eli*



J’ouvre les yeux lentement, à regret. Autour de moi, tout est paisible, seul le bruit de quelques voitures vient perturber ce matin calme. Dans la pièce, quelques rayons de soleil se fraient un chemin depuis les coins de la grande baie vitrée couverte par le rideau gris de ma chambre.


Pendant de longues minutes, je reste couché là, à contempler la pièce sans vraiment la voir. Il y a un calme plat dans mon esprit qui m’effraie un peu et m’engourdit totalement. Je ne pense à rien, je n’entends rien, je ne sens rien. Et c’est comme ça depuis dimanche soir.


Je ne sais pas trop ce qui m’arrive, mais j’ai beau me dire qu’il faut que je me bouge, je n’y arrive pas. Tout me semble trop compliqué ou trop inintéressant pour que je daigne sortir de mon lit. Je crois bien que ça fait deux… trois jours que j’y suis ? J’ai arrêté de compter les heures et les levers de soleil alors je n’en suis pas sûr.


Le volume de la chaîne Hifi est si bas que je mets un long moment avant de me rendre compte que la sélection jazz que j’ai mise hier nuit joue encore.


Je ferme les yeux et au bout de quelques secondes, je perçois un peu plus clairement les notes de Let’s call the whole thing off de Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Je me laisse porter, je me laisse oublier la lourdeur des heures que je vis depuis peu.


Pourtant, je vais bien. Je suis en parfaite santé. Côté professionnel, rien à signaler non plus. Le cabinet fonctionne comme sur des roulettes et mon émission est de plus en plus écoutée.


Presque chaque soir, je retrouve ma belle endormie dans mon lit et mes weekends sont très souvent éclairés de la présence de sa fille… alors je ne comprends pas. À part le petit épisode de tristesse à l’anniversaire du décès de maman… non, je ne comprends pas cette… absence d’émotions qui m’enserre la gorge.


Je suis encore en train d’analyser ce qui se passe en moi quand la voix de Line s'élève dans le salon.


● Eliiii.


Je l’entends, mais je ne peux pas me résoudre à lui répondre. C’est au-dessus de mes forces.


“Mais il a fait la fête ici ou quoi ce jeune homme”, je l’entends marmonner juste avant de rentrer dans la chambre.


● Bébé tu dors ? Qu’est-ce qui s’est passé ici ?


Je me retourne lentement dans le lit, toujours sans lui répondre et j’esquisse un sourire que je veux tendre, mais qui s’avère plus pathétique qu’autre chose.


● Eli… ça va ?


● Ouais… ouais ça va. Je suis juste un peu fatigué.


● Tu es sûr ? Bébé… ça pue un peu ici et la maison est dans un bazar pas possible !


Je ne lui réponds rien et elle se dirige vers la baie vitrée de la chambre. Elle commence par repousser le rideau sur le côté pour laisser entrer la lumière du soleil et ouvre les grandes vitres pour que l’air s’engouffre dans la pièce.


Là, elle se retourne vers moi et fronce les sourcils dès que ses yeux se posent sur moi.


● Eli… tu as l’air… épuisé, tu es malade ?


Avant que je n’aie pu lui répondre, elle se jette sur le lit auprès de moi et pose sa main sur mon front. Puis je la vois retrousser ses narines et dire en riant :


● Bébé ! Depuis quand tu ne t’es pas lavé ! Tu pues !


Elle rigole encore en terminant sa phrase pendant que je réfléchis à la réponse à sa question.


● Euh… dimanche ? Dimanche soir je crois, quand je suis revenu de la radio.


● Dimanche ? répète-t-elle, dubitative.


Je hoche la tête et elle reprend :


● On est jeudi, Eli !


Un peu choqué, je tends la main vers mon téléphone pour vérifier l’information. Avant même que mes yeux ne tombent sur la date du jour, je vois ses appels manqués qui datent du matin.


● Tu as essayé de m’appeler ?


● Oui… me répond-elle, le regard inquiet. On est parties du Kafolo ce matin, du coup dès que j’ai eu du réseau j’ai voulu entendre ta voix.


● Je suis désolé… je suis un peu… désorienté, là.


● C’est ce que je vois. Tu veux qu’on parle de ce qui te… désoriente ?


Je soupire lourdement en me levant et m'assieds au bord du lit. Je la sens se redresser et venir se poser derrière moi, ses mains douces et si petites sur mes épaules.


● Bébé…


● Il n’y a rien, je te promets que ça va. J’avais juste besoin de trouver la motivation pour me lever et maintenant que tu es là, je l’ai !


Je ponctue ma phrase d’un sourire qui se veut plus naturel que le premier de la journée et je plante un baiser sur son front. Je me lève du lit et me déshabille en essayant de paraître le plus normal possible. Je n’ai pas la patience pour endurer d’autres questions.


Pour meubler le silence, je lui pose des questions sur son séjour. Vendredi soir, Nathalie, Makeda et elles sont allées passer une semaine à Kafolo, une sorte d’hôtel roots situé en plein dans la lagune de Jacqueville. Je leur ai offert ce séjour pour qu’elles se détendent un peu et au sourire qu’elle avait en entrant dans la pièce, je vois que ça a fonctionné.


● Et Makeda ?


● Avec Nathalie. Je voulais qu’on se retrouve un peu tous les deux…


Ses yeux pétillent d’une lueur que je ne connais que trop alors qu’elle termine sa phrase. Nu comme un ver devant elle, j’attrape une nouvelle serviette dans mon placard en secouant doucement la tête.


Puis je lui tends la main et elle l’attrape sans que j’aie besoin d’ajouter un mot. En silence, nous rejoignons la salle de bain et j’attrape ma brosse à dents pour retrouver une haleine fraîche pendant qu’elle se déshabille à son tour.


Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons sous le jet d’eau dans la cabine de douche. Ses doigts étalant du savon sur mon corps pendant que les miens frottent doucement son ventre avec une éponge.


Là, dans l’intimité et la douceur de ce moment ponctué de ses baisers-surprises sur ma peau, j’essaie de tout oublier et profiter du moment présent. Je sens les démons de ces derniers jours guetter la moindre faille en moi pour s’installer encore plus, mais je lutte contre.


Maintenant qu’elle est là, je suis sûr que j’arriverai à me reprendre. Je le lui dois…

********


*Line*


Déjà quelques jours que je suis revenue de Kafolo et l’état d’Eli ne s’améliore pas vraiment.


Il essaie de rire et de sourire plus souvent, je vois qu’il fait des efforts pour donner le change et retrouver son humeur habituelle, mais son énergie, elle, reste faible et sombre.


Je vois dans ses yeux que ça ne va pas. Mais je n’arrive pas à comprendre ce qui le met dans cet état. J’ai subtilement demandé à ses amis et ses collègues comment ça allait au cabinet ainsi qu’à la radio et on ne m’a donné que des nouvelles positives alors je me dis qu’il faut chercher dans un autre domaine de sa vie.


Aurait-il perdu de l’argent ? Serait-il malade ou peut-être… qu’il n’est tout simplement pas heureux avec moi et qu’il ne sait pas comment me le dire ? Toutes les théories défilent dans ma tête et pour apaiser l’inquiétude en moi et l’aider, j’essaie de lui tirer les vers du nez, mais il ne fait que me répéter que ça va. Je suis perdue.


Aujourd’hui c’est lundi et je sais qu’il a eu du mal à aller animer ses émissions du week-end. Je suis d’ailleurs restée scotchée à la vieille radio de Nathalie pour l’écouter et voir si je pouvais détecter dans ses interventions la cause de son comportement étrange de ces derniers jours, mais rien. Aucun indice.


Il est 17h et c’est un peu découragée que je me rends chez lui. Tellement de choses ont changé en à peine dix jours. Je ne comprends pas…


On se voit de moins en moins alors que je n’ai pas l’impression qu’il est plus occupé qu’avant.


On se parle aussi moins puisqu’il ne décroche mes appels qu’une fois sur quatre… comme aujourd’hui.


Depuis le matin, j’ai dû essayer de le joindre au moins cinq fois sans succès. Son téléphone sonne dans le vide et je reste là, de l’autre côté du combiné à prier qu’il décroche et que sa voix, profonde et chaude se fasse entendre. Mais rien.


Quand j’arrive devant sa porte, j’entends un bruit à l’intérieur, comme si la télévision était allumée. Je sors ma clé et essaie d’ouvrir la porte, mais elle ne tourne même pas, comme si une clé était enfoncée de l’autre côté de la poignée.


J’abandonne et je frappe doucement. Aucune réponse. Je tape encore et encore, de plus en plus fort, en appelant son nom… mais rien n’y fait, je n’ai aucune réponse. J’essaie de me convaincre qu’il dort ou qu’il est sorti, mais dans ce cas, pourquoi j’entends la télé au salon ?


Je me résigne à m’en aller et à le laisser dans son coin. Je sors de son immeuble en titubant presque, les larmes plein les yeux, tellement je suis sous le coup de ce qui nous arrive.


Dans le taxi qui m’emmène au supermarché, je continue de réfléchir à la question quand l’idée me vient de chercher sur Internet. C’est un réflexe que j’ai quand je cherche une réponse qui ne se trouve nulle part dans mon environnement immédiat, je demande à Google.


J’ouvre donc le navigateur et avec appréhension, j’entre tout ce que j’ai pu remarquer comme changements chez lui : fatigue permanente, perte d’appétit, insomnie, sautes d’humeur…


Au moment où j’entre ces indications, je souris en me faisant la réflexion qu’on dirait presque des symptômes de menstrues. Mon chéri aurait-il tout simplement ses règles ?


Je pouffe à l’absurdité de ma pensée et mes épaules se détendent un peu. Puis je clique sur “rechercher” et en moins d’une seconde, des résultats s’affichent sur l’écran de mon iPhone… l’un des nombreux cadeaux qu’il m’a offerts depuis qu’on sort ensemble.


Le premier résultat me fait hoqueter de surprise : “ Symptômes de la dépression : comment reconnaître cette maladie mentale ? ”


Avec des doigts tremblants, je clique dessus et je tombe sur un article qui parle de dépression, qui décrit la maladie, donne ses symptômes, ses causes et quelques pistes de solution.


Je suis perdue dans toutes ces informations que mon cerveau reçoit, encore un peu surprise après tout ce que j’ai lu, mais quelque part dans tout ce fouillis, je me sens aussi un peu soulagée.


Si j’ai enfin réussi à mettre un mot et une explication sur ce qu’il a, peut-être pourrais-je enfin et vraiment l’aider.


Je l’espère en tout cas… de tout mon cœur.




XII - Sa dépression


*Line*



Je me suis installée chez Eli depuis 3 jours. Je ne lui ai pas demandé son avis, j’ai juste ramené mes affaires avec un grand sourire et je me suis incrustée.


Ce soir-là, dans le taxi, j’ai été tellement bouleversée que j’ai décidé de me rapprocher de lui. À la fois pour m’occuper de lui et pour m’assurer qu’il ne fasse pas de bêtise à cause de son état.


Je devais commencer un boulot de gestionnaire de stock dans une entreprise de matériels informatiques, mais j’ai pu négocier avec mon patron afin qu’on repousse ma date de prise de fonction de deux semaines.


J’espère que ce temps passé avec lui presque 24h/24 sera suffisant pour qu’il s’ouvre un peu à moi et que je puisse lui suggérer d’aller voir un psychologue. Je croise les doigts.


J’ai laissé Makeda avec Nathalie qui est en congé depuis trois semaines. Je l’appelle tous les jours et on se raconte nos journées via FaceTime. J’ai aussi prévu qu’elle vienne passer les weekends avec nous, ça égaiera sûrement Eli.


Les premiers jours sont un peu tendus entre nous. J’ai beau essayer d’être la plus douce et la plus accommodante possible, je supporte mal qu’il me tienne ainsi à l’écart de son cœur, de ses pensées, de lui…


Eli et moi, ça a collé tout de suite. Dès la première conversation. Dès les premiers mots. On pouvait parler des heures et tout se dire, tout se confier sans gêne et sans faux-fuyants.


Depuis le premier jour, j’ai eu cette impression que je faisais partie de lui et que lui faisait partie de moi. Mais en ce moment, j’ai l’impression d’avoir une tout autre personne en face.


Je souffre de ne pas savoir ce qu’il a, ce qu’il pense. Je souffre de voir sa lumière s’estomper jour après jour. De le voir se renfermer, même face à moi. De savoir que parfois, même décrocher mes appels est au-dessus de ses forces.


Je souffre, mais je sais que je ne souffre pas plus que lui. Alors je lui fais à manger pour prendre soin de son corps, je lui donne mes baisers les plus tendres pour prendre soin de son cœur et je joue au pitre et lui raconte la vie dehors pour prendre soin de son esprit.


J’essaie d’être tout simplement là pour lui, pour quand il sera prêt à parler. Tout en faisant attention à lui laisser l’espace qu’il lui faut pour faire le tri dans tout ce qui se passe en lui.


Notre première semaine de vie commune est passée plutôt vite. Il a accompli la plupart de ses tâches du cabinet à distance, et parfois je l’observais alors qu’il était en réunion au téléphone avec son assistante, posé sur le balcon, le regard dans le vide, à peine concentré.


Nous sommes au mercredi de la seconde semaine et l’atmosphère se fait un peu plus lourde. J’ai l’impression qu’il commence à en avoir marre de moi, même si je fais très attention à poser le moins de questions possible.


Je lui répète juste assez souvent que je suis là et que je peux tout entendre… mais je crois que même si je ne les dis pas, il entend les questions tournoyer dans ma tête. Et ça le saoule…


Le bon côté de la chose, c’est qu’il sort un peu plus souvent. En dehors de la radio, il se force à aller au bureau pour faire certaines choses qu’il pourrait très bien réaliser depuis la maison. Il est même allé faire les courses et faire laver la voiture. C’est vrai que ça fait mal de me dire qu’il me fuit, mais je suis contente que ça le pousse à se bouger.


J’ai décidé de lui parler de l’idée du psychologue aujourd’hui. Et pour ça, j’ai demandé l’aide de son aînée.


Ses deux sœurs vivant hors du pays, il me les a présentées via FaceTime quelques semaines après ma sortie de prison. Avec son aînée, Méliane, le courant est passé tout de suite, mais avec sa benjamine, ça a été un peu plus lent. Le temps pour elle de me jauger et pour moi de mieux comprendre sa façon de fonctionner.


Aujourd’hui, nous nous entendons toutes les trois super bien et je crois que l’une des raisons pour lesquelles elles m’aiment autant c’est que notre relation à Eli et moi ne l’a pas éloigné d’elles.


Bien au contraire, depuis que nous nous fréquentons, c’est moi qui l’incite à les appeler plus souvent et à s’ouvrir un peu plus à elles. Je trouve qu’il a tellement de chance de les avoir et je veux qu’il profite d’elles autant que possible.


J’ai donc parlé de la situation à Méliane et à ma grande surprise, elle m’a appris qu’il avait déjà eu une période de dépression pareille quelques mois après la mort de leur mère.


À l’époque, elles avaient bataillé avec lui pour qu’il aille voir un psy, mais il avait catégoriquement refusé. Elles avaient essayé de le soutenir du mieux qu’elles pouvaient jusqu’à ce qu’il semble se reprendre en main avec son nouveau boulot à la radio puis avec moi.


Ensemble, après avoir évoqué le sujet sous tous les angles auxquels nous avons pu penser, nous avons jugé bon de lui suggérer encore la solution du médecin. Sa sœur est persuadée qu’il cédera par amour pour moi et qu’il se rendra compte au fil des consultations que ça lui fait du bien.


Je suis dans notre chambre et il est environ 19h quand je lance le numéro de Méliane. Elle décroche à peine quelques secondes plus tard :


● Lili !


● Coucou Méli, ça va ? Je ne dérange pas ?


● Non, ma chérie, j’étais juste en train de menacer les enfants, comme d’habitude, me répond-elle en riant.


● Eh ! Laisse mes bébés, pardon !


● Je ne les laisse pas, viens les prendre !

Je rigole avec elle avant qu’elle change de pièce, laissant ses fils dans le chaos qu’ils ont créé sur la terrasse pour se réfugier dans son bureau.


● Alors ?


Elle me pose la question en refermant la porte doucement derrière elle.


● Alors il est là, au salon, et je pense qu’on pourrait lui parler maintenant, il a l’air d’assez bonne humeur.


● D’accord… vas-y et croisons les doigts.


Avec un sourire qui se veut rassurant, je me lève du lit et me dirige calmement vers le salon. Eli est assis là, devant le canapé, en train de regarder un match de foot.


Il est affalé dans ses vêtements de la veille vu qu’il ne s’est pas lavé depuis, et une bière en main… J’essaie de ne pas lui prendre la tête avec ces choses-là parce que je sais qu’il n’a envie de rien, mais vraiment… Je supporte mal de vivre avec lui dans ces conditions.


● Bébé ?


● Hum ? me répond-il sans regarder dans ma direction.


● Méli est au téléphone !


Je me pose à côté de lui et lui fous le téléphone dans le visage.


● Lili ? dit Méliane.


Nous répondons tous les deux “hum” à sa sœur qui éclate de rire. Depuis le moment où il lui a dit mon prénom, elle s’amuse à nous appeler par le même surnom, créant ainsi la confusion à chaque fois sur la personne à qui elle s’adresse.


● Ce n’est pas drôle, Méliane, lui dit Eli en levant les yeux au ciel.


● Eh bien, en voilà un qui est ronchon, lui répond-elle.


● Hum, fait-il sans rien ajouter.


Pendant quelques secondes, il retourne à son match et semble complètement absorbé par la télévision… Méliane et moi nous regardons à travers le téléphone sans savoir comment aborder le sujet. Puis elle me fait de grands gestes et je décide de me jeter à l’eau :


● Bébé, on peut te parler deux secondes ?


● De quoi ? me demande t-il abruptement, d’un ton que je ne lui connais que depuis peu de temps.


● De toi… je lui réponds, d’une petite voix.


Intrigué, il met la télé sous silence et se tourne vers moi ou vers nous devrais-je dire puisque sa sœur nous observe toujours.


● De moi ? C’est-à-dire ? Il fait en fronçant les sourcils.


● Alors… Avant de commencer, je veux préciser qu’on t’aime.


● Et qu’on s’inquiète pour toi ! ajoute sa sœur de l’autre côté de l’écran.


● Okay vous commencez à me saouler un peu là… De quoi s’agit-il ?


● De… ta dépression, je lui réponds.


● Ma dépression ?


Il nous regarde tour à tour sa sœur et moi et reprend :


● T’es allée dire à ma sœur que je faisais une dépression ? dit-il en haussant le ton.


● Eh Lili, tu te calmes… fait Méliane en pointant son doigt vers l’écran comme je l’ai vue faire maintes fois quand elle gronde ses enfants.


● Méli… reprend-il plus calmement. Je ne fais pas de dépression !


● Si ! insiste sa sœur. Tu fais une dépression comme tu en as fait une quand maman est décédée.


● Putain, on ne va pas revenir sur cette histoire !


● On va y revenir Eli, on va y revenir parce que tu as refusé de te soigner et que ton mal te rattrape encore aujourd’hui ! Et je suis ta grande sœur alors plus de gros mots !


Il se lève, furieux, fait le tour de la pièce et pousse l’une des figurines sur la table basse à terre. Le bruit du verre qui se brise m’arrache un cri que j’étouffe en posant ma main gauche sur mes lèvres.


● Elijah Menan Touboue ! Tu te calmes, on essaie juste de t’aider… l’interpelle sa sœur.


● Je n’ai pas besoin d’aide, je ne suis pas malade. J’ai le droit d’être fatigué et à la ramasse, non ? Je n’ai pas juste le droit de ne rien vouloir foutre pour une fois dans ma vie ?


● Et d’avoir tout le temps le regard triste et dans le vide ? Tu as le droit de ne pas pouvoir dormir la nuit aussi ? De ne pas pouvoir te concentrer ? D’avoir des sautes d’humeur et de te montrer odieux avec moi ? De t’enfoncer un couteau dans la paume délibérément ?


● Il a fait quoi ? crie sa sœur à l’autre bout du fil.


Elle se lève aussi de son côté et se met à prier à haute voix, inquiète.


● T’as vu ce que tu viens de faire ? me demande méchamment Eli, en pointant sa sœur du doigt. Je t’avais dit que c’était un accident !


● C’est faux Eli ! Écoute-nous, je t’en prie ! Il faut que tu ailles voir un psychologue !


● Eh bien ça, c’est la meilleure ! me répond-il. Elle t’a dit que j’avais refusé d’en voir un à la mort de ma mère ? Tu penses que c’est aujourd’hui que je vais le faire ? Alors que je n’ai aucune raison précise de faire une dépression ? Écoutez, foutez-moi la paix avec cette histoire. Je ne suis pas fou, je ne suis pas malade, je veux juste du temps pour moi, sans personne pour me saouler constamment !


Ses mots heurtent mon cœur, les uns après les autres, m’arrachant des larmes qu’il ne voit même pas puisqu’il s’empresse de ramasser ses clés et son portefeuille avant de sortir de l’appartement en claquant la porte derrière lui.



Et voilààà !


Tu connais la chanson, n'hésite pas à la partager, à la commenter ou juste à laisser un like, ça m'encouragerait beaucoup.


Merci et RDV dans le prochain post pour 3 "avant-derniers" chapitres lol !


La bise,

Sakina.

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