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  • Photo du rédacteurSakina Traoré

La voix du cœur : 1, 2 & 3


I - Sa voix


*Eli*



« On parle beaucoup de violences conjugales en ce moment sur les réseaux sociaux, plus spécifiquement de violences faites aux femmes.


Le sujet crée de la conversation, des clivages et beaucoup de remous. Beaucoup de célébrités prennent la parole pour raconter leur histoire ou pour faire bouger les autorités afin que des mesures plus sévères soient prises contre les auteurs de ces actes criminels.


Il y a beaucoup à dire sur la question, beaucoup de contours à prendre en compte avant de prendre position… mais pour l’émission du jour, nous allons réagir à une question envoyée par une de nos auditrices les plus fidèles.


Sur notre page Facebook, Laurelle Kannayi a laissé la question suivante pour vous : « Si on connaît une victime de violences conjugales qui refuse de s’en aller et en vient même à défendre son agresseur, que devons-nous faire ? Devons-nous l’abandonner à son sort ou insister au risque de s’attirer les foudres de cette dernière ? »


Vous pouvez réagir à la question en appelant le 25 20 00 00 00. Vous suivez votre émission préférée, Au bout du fil, sur Radio Inside. »


À peine ai-je fini mon petit monologue de début d’émission que le téléphone se met à sonner. De l’autre côté de la ligne, mon premier auditeur du jour donne son point de vue de façon assez virulente.


Sans empathie aucune, il défend mordicus que les femmes dont parle Laurelle sont des adultes qui n’ont pas besoin d’aide. Il pousse le bouchon jusqu’à dire que ce sont probablement des masochistes qui tirent un plaisir inavoué des coups de leurs conjoints.


Entre ce premier coup de fil et ceux qui suivent, je consacre toute mon énergie à essayer de rester calme et à comprendre chaque point de vue.


Quand j’ai commencé à animer cette émission il y a 6 mois, je ne me doutais pas qu’elle me demanderait autant de self-control. Surtout quand on parle de sujets aussi sensibles et que je suis obligé de me coltiner les avis de gens qui tranchent de façon radicale sans savoir, sans essayer de se mettre à la place de l’autre.


Bref, l’émission se déroule dans une atmosphère un peu lourde et j’essaie de me concentrer sur ce que chaque intervenant apporte comme perspective sur la question, mais c’est difficile. Je ne suis vraiment pas dans le moment.


La seule chose que j’ai envie de faire, chaque fois que je prends un appel et que ce n’est pas la voix que j’espère, c’est de raccrocher. Je compte les secondes et les minutes tout en essayant de rester professionnel, mais rien n’y fait. Je suis distrait.


À 5 minutes de la fin de l’émission, je perds espoir d’entendre sa voix. Peut-être qu’elle fait partie de ces gens qui n’appellent que rarement ? Peut-être que son appel de la semaine dernière était son premier et son dernier ? Peut-être que je ne lui ai pas assez donné envie de revenir à l’antenne pour une nouvelle joute verbale avec moi ?


Je décide de ranger toutes ces questions dans un coin de ma tête en bouclant l’émission du jour. Je conclus la discussion, souhaite une bonne soirée à mes auditeurs et les encourage à rester à l’antenne pour la session spéciale Soul Music qui prendra le relais.


Je ferme mon micro et je lance la playlist que j’ai préparée pour aujourd’hui avant de ranger mes affaires. Je suis sur le point de sortir quand le téléphone dédié aux auditeurs sonne.


Mon cœur rate un battement. J’avais complètement oublié de le débrancher.


Un peu hésitant, je retourne sur mes pas et tends la main vers le combiné. Ce n’est que là que je me rends compte qu’elle tremble un peu. Je prends une grande inspiration pour me calmer et je me rassieds dans mon fauteuil avant de décrocher.


Là, je décroche sans dire un mot. Pendant quelques secondes, je n’entends rien. J’en viens même à douter que quelqu’un soit à l’autre bout du fil jusqu’à ce qu’un souffle me parvienne à l’oreille.


● Eli ?


Un sourire fleurit immédiatement sur mon visage. Mon corps se détend et j’ai tout à coup l’impression d’être là où je devrais.


● Line Dagré !


● Tu m’as reconnue ? Eh ben !


● Haha, disons que ta voix est… unique.


● C’est vrai qu’on m’a souvent dit que j’avais une voix bizarre, mais de là à la reconnaître une semaine plus tard, après 30 secondes de conversation seulement…


● Déjà, j’ai dit unique, pas bizarre. Ensuite, il faut croire que 30 secondes suffisent parfois à faire de grandes choses.


Je l’entends glousser de l’autre côté du téléphone et mon sourire s’élargit. Je ne sais pas pourquoi je me sens aussi à l’aise de flirter avec elle alors que c’est seulement la seconde fois qu’on se parle, mais c’est le cas. Et je suis heureux qu’elle le prenne bien.


● Alors, que me vaut l’honneur de cet appel ? Tu sais que l’émission est finie depuis… 10 minutes maintenant, non ?


● Je sais… je voulais intervenir, mais je n’avais pas la force de déterrer certaines choses. Alors j’ai préféré écouter. Tu t’es bien débrouillé pour canaliser tes intervenants.


J’avais envie de lui demander ce qu’elle voulait dire par « déterrer certaines choses », mais je savais qu’on n’en était pas encore là. Je ne voulais pas pointer du doigt ce qu’elle n’était visiblement pas disposée à exposer. Alors j’ai laissé couler.


● J’ai essayé, qu’est-ce que tu veux ? La plupart des Ivoiriens n’ont aucune idée de toute la dimension psychologique qu’il y a derrière ces problèmes de violences conjugales. Ils simplifient trop le problème.


● Je sais. Je sais. Au fait… à quelle heure tu rentres chez toi ? En vrai, j’ai appelé sans grand espoir que tu sois encore au studio.


● J’étais sur le point de rentrer quand tu as appelé... Et je crois qu’avant même de décrocher, j’ai su que c’était toi.


Quand elle reprend la parole, j’entends un sourire dans sa voix :


● Hum… je suis la seule à qui tout ça fait très bizarre ? Quand j’ai appelé la première fois… Je ne me doutais pas que notre seconde conversation se déroulerait ainsi.


● Dès que j’ai entendu ta voix… moi j’ai su que je ne voudrais jamais que notre discussion s’arrête. C’est un peu comme si tu avais arrêté le temps.


● Arrête de raconter des bêtises !


● Je suis sérieux en plus ! J’ai eu envie d’en savoir plus sur toi à la seconde où tu as raccroché. Je t’ai attendue chaque soir à l’antenne depuis…


● Hum…


● Où est-ce que tu habites ?


● Pourquoi ?


À son ton, je sens qu’elle s’est braquée. Alors une petite tension remonte dans mon échine pendant que je réponds :


● Euh… je me disais juste qu’on pourrait se voir… bientôt.


● Non. Non, on ne pourra. D’ailleurs, il faut que j’y aille.


● Quoi ? Mais attends, Line !


● Non, je ne peux pas rester. Tu ferais bien de rentrer aussi. Abidjan n’est pas du tout sécurisé la nuit et il est déjà presque minuit. Aurevoir !


● Attends ! Tu rappelleras ?


● Je… je ne sais pas. Bonne nuit, Eli.


● Bonne nuit L…


Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’elle a déjà raccroché. Je reste assis là, pantois, un goût d’inachevé me clouant à mon siège.


Pourquoi a-t-elle réagi si brusquement à ma question ? Ai-je été trop rapide ? Ai-je dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?


Ce n’est que quand j’essaie de me lever de mon fauteuil que je me rends compte que j’ai encore le combiné en main. Je le replace sur son socle et je reprends mes affaires.


J’accroche mon sac à mon épaule et je sors de la pièce en refermant soigneusement la porte à clé derrière moi.


Je marche lentement dans le silence assourdissant de la nuit, je remonte les couloirs du bâtiment et j’arrive enfin à l’entrée principale. Je laisse les clés du studio au gardien pour l’animateur qui prendra le relais demain matin et je pars en direction de ma voiture.


Du moment où je passe les portes de mon appartement à celui où je m’endors ce soir-là, un seul mot passe en boucle dans mon esprit, comme pour essayer de capturer indéfiniment le moment que j’ai vécu avec elle : « Line ».


Et je déteste presque d’aimer autant ce qu’il me fait ressentir.





II - Ma quête


*Eli*



« La plupart des gens fuient les conversations difficiles sans comprendre qu’elles sont nécessaires à l’évolution d’une relation, à l’éducation d’un enfant, à l’avancée d’une carrière et bien d’autres situations encore. Tant que les parents n’auront pas appris à parler de sexe à leurs enfants le plus tôt possible, les grossesses précoces continueront de se répandre comme une traînée de poudre. »


Alors que l’enregistrement se remet à jouer une énième fois, mon esprit s’évade, ne se concentrant plus que sur la voix qui porte le message. Pour une femme, son timbre est étonnamment grave, je me fais encore la réflexion. Mais c’est l’une des choses qui la rendent si unique.


Je n’arrive pas à croire que ça fait un mois que Line me laisse sans nouvelles. Un mois que c’est le silence radio de son côté et que j’essaie de comprendre comment une simple question a pu la faire fuir aussi vite.


Je suis encore dans mes réflexions, posé dans la salle de repos de la radio et en train d’écouter un audio de sa première intervention dans mon émission quand l’ingénieur son vient me faire signe que le studio est libre ; c’est l’heure de mon émission. Je me lève, prends mes affaires et me dirige vers mon antre, à petits pas.


Je marche lentement vers le studio et c’est en remontant le couloir qu’une idée me vient à l’esprit. Elle me paraît si simple que je m’en veux immédiatement de ne pas y avoir pensé plus tôt. L’excitation remonte le long de mon échine à l’idée d’avoir enfin trouvé un moyen de la contacter… mon Dieu, ce que cette femme me fait !


Je regarde ma montre en m’installant face à mon micro : 22h28. J’ai encore deux bonnes minutes avant de lancer l’émission du jour, mais il est trop tard pour contacter la seule personne qui puisse m’aider. Alors je me décide à me concentrer sur mon boulot pour la prochaine heure, rassuré par la conviction que la voix de Line bercera bientôt mes oreilles.

*******


Il est presque 7h du matin quand je me lève le lendemain. Ma première pensée quand j’ouvre les yeux, comme tous les jours depuis plusieurs semaines maintenant, c’est elle. Mais je dois réfréner mon envie de passer le coup de fil tant attendu maintenant. Diane ne commence le boulot qu’à 8h.


Pour faire passer le temps, je prends une douche froide avant de me préparer le petit-déjeuner et de m'installer sur mon balcon pour manger. Depuis le salon, des notes de jazz s’élèvent dans toute la maison et viennent titiller mes oreilles. Je suis presque détendu.


Presque.


Quand 8h s’affiche sur la montre à mon poignet, je me jette presque sur mon téléphone et ouvre la liste de mes contacts. Je lance l’appel vers « Diane - Inside » et je mets le haut-parleur en écoutant l’appareil sonner. À ce stade, ce serait un euphémisme de dire que mon cœur bat à un rythme effréné.


● Eli ! On dit quoi ?


● Hey Diane. Ça va super et toi ?


● Oh mon cher, aussi bien qu’on peut aller un lundi matin ! Alors, que me vaut cet appel ? Tu n’es pas censé dormir jusqu’à 12h toi ?


● Dormir jusqu’à midi ? Je ne l’ai jamais fait de ma vie et je doute de pouvoir hein ! J’ai besoin de toi ma Didi.


● J’avais deviné, ce doit être important ou illégal si le petit nom est de sortie.


Je rigole à sa remarque parce que comme d’habitude, Diane est très, presque trop, perspicace.


● Un peu illégal, j’avoue.


● Juste un peu ? Dis-moi tout alors.


● J’ai besoin du numéro d’un auditeur qui a appelé pour la dernière fois à la station il y a un mois environ.


● Un auditeur ?


● Euh… disons plutôt une auditrice.


● Hum… Eli ! Combien de fois j’ai essayé de te caser depuis un an et demi que tu travailles à la station ? Et c’est une auditrice qui t’a charmé hein.


● Faut croire que tu devais simplement laisser faire le destin…


● Ah le destin n’avait qu’à se dépêcher !


Elle m’arrache un deuxième rire ce matin et ça me fait du bien. Ça fait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi léger.


● Alors, tu vas m’aider ?


● Hum. Je n’ai pas trop le choix, je ne peux rien refuser à l’animateur chouchou de la radio, mais c’est la première et la dernière fois hein.


● Promis, juré, craché !


● Alors, dis-moi quand elle a appelé pour la dernière fois.


● Euh… le 10 avril, je crois. Mais c’était 10 minutes environ après la fin de l’émission. Donc vers 23h40.


● Après la fin, hein ! Les choses des amoureux cachés. Okay, je te reviens au plus vite avec ton info, mon coco.


● Merci, Didi, tu es la meilleure !


● Oui je sais ! J’attends mon Gagnoa de chez Des gâteaux et du pain !


● Tu l’auras samedi prochain, sans faute !


Puis elle raccroche avec ce rire fort dont elle seule a le secret. Et ce n’est que quand j’expire bruyamment que je me rends compte que je retenais ma respiration depuis le début de l’appel.


Je prends le temps de terminer mon petit-déjeuner, reconnaissant pour cette matinée qui débute si bien, avant de me lever et d’aller rejoindre les garçons au bureau.


Oui, mon deuxième bureau. Mon boulot de jour. Mon activité principale. À la base, je suis diplômé en droit des affaires de l’Université Internationale d’Abidjan. Maël, mon meilleur ami, a le même diplôme que moi et Kelvin, son cousin, est diplômé en droit pénal.


Si Maël et moi nous connaissons depuis le lycée, c’est à l’université que j’ai rencontré Kelvin qui, jusque-là, étudiait à l’intérieur du pays.


Depuis, nous formons une bande d’amis solide et environ 5 ans après l’obtention de nos masters, nous avons créé notre propre cabinet d’avocats.


Notre vision était d’accompagner les entrepreneurs, les petites entreprises et les particuliers dans leurs business et leurs affaires pénales.


Presque 8 ans plus tard, le bilan est très positif puisque le cabinet fait un chiffre d’affaires à 8 chiffres par an et que chacun d’entre nous a pu poursuivre ses études jusqu’à l’obtention du doctorat.


C’est donc ce que je fais principalement de ma vie, même si j’ai dû lever le pied il y a deux ans maintenant, après le décès de ma mère. Son brusque départ m’a fait réaliser que je ne faisais pas tout ce que j’aimais.


J’étais doué pour mon métier, mais la fibre créative que j’avais toujours exprimée depuis l'enfance, je l’avais lentement et sûrement étouffée pour me consacrer à des activités plus « responsables », « carrées ». Il était temps pour moi de trouver un nouvel équilibre.


J’ai convaincu les gars de me laisser embaucher une seconde assistante au Cabinet, quitte à renoncer à une partie de mon salaire pour avoir un peu de temps à côté.


Une fois que Malia est arrivée, j’ai commencé à chercher ce que je voulais faire en plus.


L’histoire est un peu plus longue, mais la finalité, c’est que j’ai atterri à la Radio Inside en tant qu’animateur pour une émission qui éveille les consciences et me rapproche des gens.


Toute la matinée donc, je la passe au cabinet à travailler sur deux dossiers assez importants que j’ai sous la main. Malia étant plus que performante, elle m’ôte une charge énorme des épaules et nous avançons plutôt bien en quelques heures.


Je suis en train de travailler avec elle sur une requête à déposer auprès du juge pour une affaire en cours quand mon téléphone vibre sur la table. À l’écran, je peux voir un message de Diane qui dit :


« Tiens, voilà le numéro de ta belle disparue : 05 05 00 00 00. Tu as intérêt à en tirer quelque chose de bon ! »


Un sourire aux lèvres, j’attrape mon téléphone avec empressement pour lui répondre et la remercier.


Son message tombe à pic puisque Malia et moi avons effectué presque toutes nos tâches de la journée. Je lui laisse des directives pour la suite et je range mes affaires pour rentrer chez moi. Ça ne sert à rien d’essayer de bosser à présent, je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas eu Line au bout du fil.


Vingt minutes plus tard, je referme la porte de mon appartement derrière moi et je jette mon attaché-case sur le canapé. J’ouvre le message de Diane et avant même d’avoir retiré mes chaussures, je lance le numéro qu’elle m’a envoyé.


Mon cœur bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il va me sortir de la poitrine. Mais alors que l’espoir crépite en moi, il est réduit à néant quand la dame au bout du fil me répond :

« Votre correspondant est indisponible actuellement. Veuillez renouveler votre appel. »


Dans un soupir, je me laisse tomber dans le canapé. Puis je relance l’appel et le coupe dès que la dame recommence son discours. Indisponible. Indisponible. Ce mot sonne comme une sentence, une punition pour moi.


Comme je balance le téléphone à mes côtés, il tourne en boucle dans ma tête : « Indisponible ». Et je commence à détester l’emprise que Line a sur moi.





III - Son secret


*Eli*



Toute la semaine, je n’ai pas réussi à joindre Line. La seule voix que j’ai eue à l’autre bout du fil en composant son numéro est celle de cette intruse qui m’informait qu’elle était indisponible.


Du découragement, je suis passé à la déception avant de caler sur la colère ce matin.

Je ne comprends pas. Est-ce qu’elle a changé de numéro ? Et si oui, est-ce à cause de moi ?


Les questions m’étouffent et m’accablent de stress, alors j’ai décidé d’arrêter d’essayer. D’arrêter de lui courir après. Je n’en peux plus.


Aujourd’hui, c’est officiellement le week-end et j’ai une émission à animer ce soir et demain soir, dimanche. Alors je n’ai plus envie de me morfondre, de me perdre dans des questionnements pour une femme à qui je n’ai parlé que deux fois.


Je fais tout pour rester positif toute la journée. Du sport, du temps avec mes amis, quelques minutes au téléphone avec mes sœurs et je m’offre même un de mes repas préférés pour le dîner.


Quand l’heure de l’émission arrive, je me sens beaucoup mieux et beaucoup plus déterminé à sortir Line de ma tête. En plus, le sujet du jour me parle tellement que je sais que je vais passer un bon moment.


Quand l’ingénieur son me donne le go, je me lance et j’oublie tout :


« Entreprendre. Depuis quelques années, il y a ce qu’on pourrait appeler une vraie propagande sur l'entrepreneuriat en Côte d’Ivoire. Présentée comme une panacée au problème du chômage, elle est presque forcée dans l’esprit des gens et surtout des jeunes.


On nous fait croire qu’il suffit de volonté et de discipline pour pallier le manque de moyens, que tout le monde peut réussir en entreprenant et qu’il y a même plus de liberté à travailler pour soi-même.


Mais en tant qu’avocat spécialisé dans le droit des affaires qui accompagne des petites entreprises depuis environ 8 ans… Je suis persuadé que l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire n’encourage pas l’évolution des entrepreneurs. Bien au contraire… et vous, quel est votre avis sur la question ?


N’hésitez pas à nous appeler au 25 20 00 00 00 pour le partager avec nous. Vous suivez votre émission préférée, au bout du fil, sur Radio Inside. »


Le premier coup de téléphone retentit à peine quelques secondes après :


● Bonsoir, Madame, Monsieur, quel est votre prénom svp ?


● Euh… Bonsoir Eli. C’est Line Dagré.


Sa voix me laisse bouche bée un moment. Je ne sais pas quoi dire, comment réagir, ni quoi répondre.


● Hello… on m’entend ?


● On t’entend parfaitement bien, Line. Et on t’écoute.


● Okay… alors Eli, je dois dire que je suis parfaitement d’accord avec toi. On lit tellement de déboires d’entrepreneurs ici et là, dus à des lois mal faites, des vols d’idées venant de gens très haut placés et tolérés par le gouvernement en place…


Je l’écoute parler tout en essayant de me concentrer sur ce qu’elle dit, mais c’est dur de garder la face. Je lance des interjections de temps en temps, mais je crois qu’elle sent que je ne suis pas présent puisqu’elle coupe court à son intervention.


Quand on est sur le point de renoncer à quelque chose qu’on a voulu très fort et qu’enfin l’univers nous le donne, c’est un sacré coup dans l’estomac qui nous laisse sans voix. Et c’est exactement l’état dans lequel je suis.


Le reste de l’émission se passe comme dans un brouillard. Je ne saurais pas répéter ce que j’ai dit ni ce dont les autres auditeurs ont parlé. C’est fou comme une seule personne peut bouleverser tous vos plans et ne même pas se rendre compte de l’emprise qu’elle a sur vous !


Quand je boucle enfin l’épisode du jour, c’est un soulagement énorme qui m’envahit. Pendant que la playlist zouk prend le relais, je m’affale dans mon fauteuil et tente de rassembler mes esprits.


Inspirer profondément, expirer lentement. Pendant de longues minutes, je m’attèle à rester dans le moment présent, à calmer mon cœur et mon cerveau. Et c’est quand j’y parviens enfin que le téléphone de la station sonne. Je décroche presque mécaniquement :


● Allô


● Salut… Eli.


Je soupire bruyamment dans le combiné et elle reprend :


● Ça n’a pas l’air d’aller fort ?


● Non, Line. Ça ne va pas fort.


● Pourquoi ? Qu’est-ce que tu as ?


● Tu me poses vraiment la question ?


● Oh…


● Oui “oh”… ça fait plus d’un mois que je te cherche partout.


● Ah bon ?


● Comment ça « ah bon » ?


● Eli, pourquoi tu t’énerves ?


● Je m’énerve parce que…


● Eh eh eh, ne crie pas, ok ?


● Je… désolé.


Je prends quelques secondes pour me calmer et revenir à moi. Et puis la réalité me frappe de plein fouet et je me mets à rire.


● Eli… tu es bizarre là, qu’est-ce qu’il y a ?


● Rien Line… rien de bien grave, juste que tu m’as manqué et qu’au lieu de le reconnaître, j’ai préféré m’emporter.


● Je t’ai manqué ?


● Hum… je crois que ni toi ni moi n’avions mesuré la portée de mes paroles quand je t’ai dit que je ne voudrais jamais arrêter nos discussions.


● Eli…


● Je t’ai cherchée Line. J’ai poussé une amie à enfreindre la loi et à trouver ton numéro de téléphone pour moi dans les archives d’appel de la radio.


● Oh…


● Et depuis une semaine je ne fais que t’appeler pour qu’une jeune dame aigrie me dise que tu es injoignable.


Je l’entends rire doucement de l’autre côté du fil et bouger. Comme si elle s’allongeait.


● Tu te mets au lit ?


● Ouais… on peut dire ça. Alors tu m’as cherchée ?


● …


● Eli ?


● Oui.


● Je suis désolée. Tu m’as appelée en journée, je suppose. Mon téléphone reste éteint toute la journée, c’est pour ça que tu n’as pas pu me joindre.


● Toute la journée jusqu’à quelle heure Line ? J’ai même essayé en début de soirée !


● …


● Line !


● Écoute, on devrait arrêter ça. On raccroche, on arrête de se parler et je te promets de ne plus te rappeler à la station.


● Non.


● Non ?


● Non.


● Mais Eli…


● Non. Où est-ce que tu es ? Pourquoi est-ce que tu es injoignable pratiquement tout le temps ?


● Tu… tu n’as pas envie de savoir.


● Ne pense pas pour moi. Jamais.


● Eli…


● Dis-moi.


● Je suis…


● …


● Je suis à la MACA.


● À la MACA ? Quelle MACA ?


● La seule que tu connais, Eli Touboué. La Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan.

Les secondes qui s'égrènent lentement, j’ai l’impression que mon cœur fait des embardées. J’en oublie presque de respirer et le seul mot qui tourbillonne dans mon esprit est « MACA ».


Et je déteste les scénarios qu’il évoque en moi.



A ton avis, Line a fait quoi pour se retrouver à la MACA ?


Tu connais la chanson... si cette nouvelle histoire te parle, n'hésite pas à la partager, à la commenter ou juste à laisser un like, ça m'encouragerait beaucoup.


Merci et RDV lundi soir pour 3 nouveaux chapitres !


La bise,

Sakina.

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