Mon verre de vin en main, je somnolais depuis quelques minutes déjà quand le bruit d'une porte qu'on ouvre m'a brusquement tirée des bras de Morphée.
- Oh ma chérie, désolée de rentrer seulement maintenant
Je regarde Anna, ma meilleure amie, entrer dans la pièce avec un sourire. En reprenant mes esprits, je lui réponds que ce n'est pas bien grave et elle s'approche de moi pour poser deux bises sonores sur mes joues.
Pendant que je pose délicatement mon verre sur sa table basse en bois, la jeune femme s'assoit près de moi et retire ses chaussures.
- Ta journée s'est bien passée ? je lui demande en me levant
- Epuisante mais au moins, j'ai pu finir ma présentation, je suis fin prête pour demain !
- Super !
- Layla dort depuis longtemps ?
- Quand même hein, je l'ai mise au lit il y a un peu plus d'une heure. On est allées au parc donc elle a vite rendu les armes aujourd'hui, je réponds en riant
- T'es la meilleure Shay. Fais-moi un câlin et rentre te reposer ! J'ai assez abusé de toi !
Pendant que j'accroche mon sac à mon épaule, elle vient me serrer fort dans ses bras et je lui murmure " c'est quand tu veux bébé ". Elle ricane alors en me poussant vers la porte d'entrée.
**********
Dans la voiture, pendant que je repense à ma journée et à tout ce qu'elle m'a apporté de bonheur, une tristesse que je ne connais que trop bien m'étreint.
Comme tous les jours depuis l'annonce fatidique il y a 3 ans, je me rappelle qu'il faille que je me concentre sur le positif. Uniquement le positif. Le mari aimant et généreux, l'entreprise qui fonctionne à merveille, les comptes en banque bien fournis... le positif, rien que le positif.
Alors je respire un grand coup, met la radio à fond et me concentre sur les bonnes vibes de HitRadio pour oublier ce début de mélancolie. Je m'égosille sur les bons vieux sons de la sélection Rétro qui joue et j'arrive, au bout de quelques chansons, à me sentir mieux.
Je gare devant chez moi pendant que les dernières notes de L'un pour l'autre de Soum Bill passent encore. Amoureuse que je suis de cette chanson, je traîne quelques secondes de plus dans la voiture, le temps d'en profiter jusqu'au bout.
Et puis quand enfin je pousse lentement la porte de chez moi, je remarque que seule la veilleuse du salon est allumée. J'enlève mes sandales que je laisse doucement retomber près de l'entrée et je me dirige à pas de loup vers la chambre après avoir refermé derrière moi.
Là, je tombe sur Daniel endormi dans ses vêtements de la journée. Attendrie par cette image, je reste un long moment debout à le regarder, un sourire aux lèvres. Je l'ai mille fois vu ainsi, dormant tranquillement avec sa cravate encore autour du cou et à chaque fois, je me fais la réflexion que c'est l'image la plus touchante que j'aie jamais vue.
Et puis pour la première fois, je me demande si j'aurais pensé cela si j'avais les grimaces d'un enfant ancrées dans mon coeur. Si le rire d'un bambin était omniprésent dans ma vie. Si je pouvais me délecter des pitreries d'un mini-moi, d'un mini-lui, d'un mini-nous...
Au bout de quelques secondes, je décide de laisser ces pensées tristes là et je m'approche de mon mari. Lentement, je me glisse à ses côtés dans le lit et passe mes bras autour de son corps chaud. Instantanément, la pression retombe et une larme, celle que je croyais avoir ravalée plus tôt dans la voiture, coule sans que je m'en rende compte.
Elle parcourt ma joue, en caresse chaque ligne et retombe dans un bruit sourd sur la tempe de l'homme auprès de moi. Je le sens tout de suite remuer et se retourner. Il ouvre alors les yeux et je n'ai pas le temps de cacher, de maquiller, d'édulcorer tout ce que mon regard a gardé de ma journée avec ma filleule.
On reste là un moment, à se regarder et se jauger. A s'appréhender et se tâter. Puis il pose la question fatidique, celle qui fait toujours céder la digue quand on a mal, celle qui libère toutes les larmes qui suivent la première : " qu'est-ce que tu as ? "
Alors je me mets à pleurer. A suffoquer comme je le fais chaque fois que je repense à ce que je n'ai pas. Je pleure dans ses bras pendant de longues minutes et il ne dit rien. Il se contente de me bercer et de me faire sentir sa présence.
" Je suis désolée ", je lui dis quand j'ai enfin repris mes esprits.
- Désolée ? Pourquoi bébé ?
- Mieux vaut qu'on n'en parle pas, okay ?
- Ah non, tu ne peux pas me demander ça Shay. Dis-moi ce qu'il y a, on en parlera et tout ira mieux. C'est comme ça que ça fonctionne... hum ?
- C'est juste que... je ne veux pas dire des choses qui vont plomber l'ambiance alors que tu viens juste de rentrer !
- Plomber l'ambiance ??
- Crois-moi chéri, ça va maintenant. Laissons tomber
- Non... dis-moi...
- Daniel, je t'en prie
- Shay !
- ...
- Tu as passé la journée avec ta filleule, je pensais que tu reviendrais heureuse, toi qui aime tellement les enf... Oh
- Daniel...
- ...
- C'est juste que... souvent j'y pense et je ne peux... je n'arrive pas à retenir la tristesse, les larmes...
- Tu y penses souvent ? Tu avais dit que tu t'étais faite à l'idée !
- Je sais ! Je sais mais j'ai menti ! Je ne me suis pas faite à l'idée de ne jamais avoir d'enfants Daniel !
- Je... Shay... On s'était mis d'accord
- On s'était mis d'accord. Et j'ai vraiment essayé de me débarasser de cette envie mais chaque fois que je vois Layla... Chaque fois que je vais la garder, je reviens en pleurs.
- Wow... Tu n'as que 29 ans Shay, tu pourrais avoir des enfants juste en passant cette porte
- Qu'est-ce... qu'est-ce que c'est censé vouloir dire M. Kouadio ?
- Que tu peux encore partir ! Pourquoi tu restes hein, si tu as si mal ? Je ne peux pas être avec toi si tu souffres à cause de moi !
Sous l'effet de la douleur, sans doute, il se lève brusquement en disant ces mots et sort du lit. A mon tour, sous l'effet de la colère, je me redresse et dit :
- Plus jamais tu me répètes ça, tu m'entends ?
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Shay ! Quelle autre option je peux donner à la femme que j'aime mais qui est misérable parce que je ne peux pas lui faire d'enfants !
- Je ne suis pas misérable ! Okay ? Je suis juste triste de temps à autre mais je ne vais pas te quitter pour ça, Daniel !
- Pourquoi ? Je ne comprends pas Shay !
- Mais combien de fois il va falloir que je le dise pour que tu comprennes ? J'ai choisi le moindre mal en restant, crois-moi !
- Le moindre mal ?
- Oui... Ne pas avoir d'enfants... c'est dur et je pleure souvent mais c'est seulement dur quand tu n'es pas là. Quand tu pars faire tes six semaines sur la mine, je suis vulnérable. Je passe beaucoup de temps avec Layla, et tout remonte. Mais quand tu reviens... il suffit que tu sois là, que je t'embrasse, que tu me serres dans tes bras, que tu m'aimes toutes les nuits que tu es là, pour que j'oublie tout. Mais si je ne t'ai pas toi, aucun autre bonheur ne pourra éclipser la douleur que je ressentirai alors. Alors tu la boucles un peu quand je te dis que je te choisis et tu m'embrasses, tu me fais rire, tu me cajoles, tu me fais l'amour... et tout ira bien. Comme d'habitude.
Quand je finis ma tirade, je suis à bout de souffle. Et c'est seulement là que je me rends compte qu'il est tout près de moi, la tête baissée. Alors je pose les mains sur son torse et je sens tout son corps se détendre.
- Tu en es sûre ?
A sa question, je grogne de frustration et je sens ses épaules se secouer comme il ricane.
- Je suis désolé ma chérie. Je comprends vite les choses mais j'ai besoin qu'on me les explique longtemps
A sa blague pourrie, je ne peux m'empêcher de rire alors qu'il m'emprisonne dans ses bras.
" Je t'aime ", il me murmure à l'oreille. Et je lui réponds la même chose. Et alors que ses lèvres se posent dans mon cou, qu'il me tient encore plus étroitement contre lui, j'oublie tout.
Les larmes, la tristesse, les enfants, la frustration. Sa présence suffit à me redonner vie, à me soigner, à effacer ce manque qui me pèse tant parfois.
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