***Dans la tête d’Heartie***
La vie est… faite de choix.
Il y a environ trente ans, ma mère a fait le choix de fuir l’Afrique du Sud et de suivre mon père en Côte d’Ivoire. Ils étaient jeunes, amoureux et leur idylle naissante rencontrait déjà tellement d’obstacles dus aux cultures différentes, aux préjugés qu’ils ont décidé de s’en aller loin de tout problème pour vivre leur amour pleinement.
Quand je regarde en arrière et que je me rappelle les mots que mes parents me disaient, quand ils me racontaient leur histoire, je vois des choix tous plus importants et décisifs les uns que les autres.
Grâce à eux, j’ai appris que quand la vie te montre deux trajectoires diamétralement opposées, qu’elle te met dos au mur et ne te laisse d’autre alternative que de choisir, tu fermes les yeux, tu prends un grand bol d’air et tu te rappelles que quoi qu’il arrive, ne pas choisir est déjà un échec. Il faut du courage pour choisir quand on ne sait pas où est ce que chacun des chemins qui s’offre à nous mène.
La vie est faite de choix et c’est ainsi que quand j’avais trois ans, alors que mes parents essayaient de me donner un petit frère ou une petite sœur avec qui j’aurais pu grandir, ils ont découvert que ma mère avait un cancer des ovaires. Les deux ovaires étaient totalement envahis par les métastases.
Alors il a fallu choisir : chimiothérapie ou ablation des ovaires ?
Ma mère ne voulait pas que je la voie malade. Elle ne voulait pas que je vois ses cheveux tomber, ses joues se creuser, son poids diminuer, ses forces la quitter. Elle voulait continuer à jouer avec moi, à me porter sur son dos comme j’aimais qu’elle le fasse.
Ils ont choisi l’ablation des ovaires. Ils se sont dits que de toutes les façons, ils avaient déjà une jolie petite fille en bonne santé et que s’ils voulaient d’autres enfants, ils pourraient adopter. Voilà pourquoi aujourd’hui je suis fille unique. Parce que chaque choix que nous faisons a des conséquences.
Chaque décision que nous prenons laissera sa touche sur le dessin de nos vies. Ce que nous ne savons pas, c’est l’étendue de cette touche. Sera-t-elle petite, invisible ou marqué comme le nez au milieu d’un visage ? Nous ne savons pas, mais il nous faut tout de même choisir.
J’ai eu mon bac à 15 ans au Lycée Sainte Marie de Cocody, à Abidjan. Je me rappelle de ce jour comme si c’était hier. J’avais été major de ma promotion, première de tout mon centre d’examen. Plus que ce que j’avais réussi à accomplir, c’est la fierté que j’ai vue dans le regard de ma mère qui m’a confortée dans l’idée que j’avais réussi. Je savais que si ma mère était heureuse à ce point-là pour moi alors mon père l’aurait été au moins tout autant.
Un mois à peine après la proclamation des résultats, l’état ivoirien m’a offert une bourse d’études complète pour aller étudier dans le pays de mon choix et faire la filière que je voulais.
J’étais sur un petit nuage et maman aussi. J’allais dire oui, il n’y avait aucun choix à faire là. Maman venait de se remettre de son cancer de la thyroïde, le troisième de la liste. Elle allait bien et je pouvais y aller.
Mais c’est à ce moment-là que les choses ont mal tourné. Petit à petit, elle a commencé à oublier des trucs. Ses clés, la nourriture au feu, ce dont elle était en train de parler à l’instant... La situation s’est si vite aggravée que j’ai eu un peu de mal à réaliser ce qui se passait.
Et puis un jour, j’ai décidé qu’il fallait absolument savoir ce qu’elle avait. On en a discuté toutes les deux et elle est partie à Seattle pour voir un médecin. Elle est revenue un mois plus tard avec un diagnostic des plus effrayants : l’Alzheimer.
Nous étions en Afrique. En Côte d’Ivoire. Pour nous, ce genre de maladie n’arrivait que dans Grey’s Anatomy ou chez les occidentaux. Aucun centre hospitalier en Côte d’Ivoire ne pouvait s’occuper d’elle parce que la maladie était quasi inconnue. J’ai insisté pour qu’elle reparte à Seattle ou dans n’importe quel endroit où on pouvait s’occuper d’elle mais elle a dit qu’elle ne souhaitait en aucun cas quitter son pays.
Je suis donc restée avec elle. Je pouvais m’occuper d’elle. Je le faisais déjà depuis trois ans, depuis qu’elle était retombée malade après la mort de papa. Elle a tempêté et je lui ai tenu tête. Elle a fini par abandonner en voyant que je ne comptais pas céder.
Je suis restée à ses côtés pendant encore deux ans. Et puis j’ai eu dix-sept ans et elle a jugé qu’elle en avait marre de voir sa fille gâcher sa jeunesse et sa vie à s’occuper de sa pauvre mère malade alors elle a engagé à mon insu une infirmière pour s’occuper d’elle à plein temps. Tante Odile. Cette femme était une vraie perle, parfaite avec ma mère alors ça m’a rassurée. Je n’ai plus eu peur de laisser ma seule famille aux bons soins de quelqu’un d’autre.
J’ai entamé les démarches pour aller étudier la médecine à Seattle. Comment j’ai su ce que je voulais faire ? En regardant ma mère. Et en me souvenant de mon père. La maladie semblait être quelque chose de très présent dans ma famille alors j’ai décidé de devenir médecin. Ne sait-on jamais.
J’ai engagé un professeur de maison pour me remettre à niveau. J’ai refait tous mes cours de terminale et au bout d’une année j’ai obtenu une bourse complète pour aller étudier à Seattle. Je me suis envolée pour ce qui est aujourd’hui mon nouveau chez moi. Enfin, était mon nouveau chez moi, puisque je déménage.
D’ailleurs là, je suis dans mon dressing que je regarde depuis un long moment maintenant. Tout est absolument vide là-dedans, tout comme dans la chambre, la cuisine, la maison. J’ai vendu tous mes meubles et tout ce avec quoi je ne pouvais pas voyager. Je rachèterai tout une fois arrivée à Boston. Il ne me reste que mes vêtements, ma trousse de toilette, mes papiers et mon pc. C’est une nouvelle page qui se tourne et même si je suis un peu mélancolique, je tiens le coup.
Hier, mes collègues m’ont organisé une petite fête d’au revoir. On a mangé, dansé, ri et je suis rentrée chez moi aux environs de 23h. Cet hôpital et ses gens vont me manquer, mes patients vont me manquer.
J’en suis là dans mes réflexions quand on sonne à ma porte. Le concierge me dit que mon taxi est là. Je reviens dans la maison, vérifie toutes les pièces et j’éteins tout. Ensuite Harry descend avec mes deux valises et je récupère mon bagage à main et mon sac avant de le suivre hors de l’appart.
Arrivée au niveau du taxi, je remets mes clés à Harry en lui disant au revoir et merci, puis je monte à l’arrière du véhicule jaune. Lunettes de soleil fixées sur le nez, musique à fond dans mes oreilles, je me concentre sur les paroles de « Happy people » de R Kelly en ignorant les élans de mélancolie qui cherchent à se frayer un chemin dans mon esprit. Je me mets en mode no stress. La vie est belle ce matin et je serai bientôt dans mon nouveau chez moi.
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5h30 de vol, un long moment de sommeil et de lecture plus tard, je suis enfin à Boston. Le temps de récupérer mes affaires, retrouver ma voiture que j’ai faite envoyer ici il y a cinq jours et je peux enfin embarquer dans ma voiture pour rentrer chez moi.
Je range mes affaires dans le coffre, prends le volant et après avoir trouvé « New flame » de Chris Brown dans ma playlist (oui, je sais j’ai 30 ans) je me mets en route. Laissant le GPS me guider, je pose mes lunettes de soleil sur mon nez et prends la direction de Back Bay East.
La vie est faite de choix. Et j’ai choisi. Une nouvelle ville, un nouveau quartier, un nouvel appart, un nouveau départ.
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