***Dans la tête d’Heartie***
La vie est… priorités. Peu importe votre personnalité, vos ambitions, votre condition, vos aspirations, vos acquis, il y a des moments où il vous faut choisir quels combats mener en priorité. Des moments où on prend du recul pour décider de ce qui est le plus important pour nous.
Déjà fait une heure que je suis partie de chez moi. J’ai roulé un long moment pour me calmer avant de m’arrêter à un hôtel pas loin de mon lieu de travail. J’ai réservé une chambre pour la nuit, vu que je devais travailler le lendemain matin.
Dès que je finis de m’installer dans la pièce, mon estomac se met à gargouiller et je sens une grande fatigue m’envahir. En voyant le lit, je me dis que je pourrais prendre un bain et dormir mais je sais que le sommeil ne viendra pas réellement si je garde le ventre vide.
En appelant le room service, je me rends compte que j’ai envie de manger sucré alors je commande tout ce qui me passe par la tête. Brownies, petits gâteaux, yaourts, jus… un assortiment très bizarre je réalise, une fois que tout est posé devant moi quelques minutes plus tard.
Je me lave rapidement, engloutis tout ce qui est sur mon plateau et je me mets au lit, emmitouflée dans mon peignoir. Je reste là un moment, les yeux rivés au plafond, à penser à ce qui s’est passé et à ce que je devrais faire.
Discuter. S’expliquer. Je sais très bien que c’est ce que je dois faire avec Ty et Ama mais je ne sais pas si j’en ai vraiment envie. Ressortir cette histoire de mon passé me semble trop douloureux et je ne veux en aucun cas retomber dans la dépression dans laquelle j’étais il y a des années de cela. Mais je vais devoir le faire. Pour mon couple… pour ma relation avec ma cousine.
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Je me réveille à l’aube le lendemain matin, beaucoup plus reposée. Je prends un petit déjeuner gargantuesque, un bon bain chaud et je m’apprête pour aller travailler. Je rassemble toutes mes affaires, règle la note de la chambre et prend le chemin de l’hôpital.
Il est déjà neuf heures trente mais le temps est étonnamment gris et c’est en écoutant la radio que j’apprends qu’il y aura sûrement une tempête de pluie aujourd’hui et demain.
Vingt minutes plus tard, je suis dans une salle de réunion avec tous mes collègues médecins et le chef de la chirurgie, en train de décider des mesures à prendre pour les heures et les jours à venir.
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Plus de quatorze heures après, j’ai enfin un petit moment de répit et j’en profite pour m’asseoir un peu. Je suis habituée aux longues journées de travail alors je ne me plains pas, j’en ai vu d’autres mais là je dois dire que je suis particulièrement fatiguée et que j’ai un peu mal au dos. Je dois reprendre dans dix minutes alors j’en profite pour manger un bout à la cafétéria et reposer un peu mes pieds.
Ce n’est que lorsque j’entends mon bipper sonner que je me rends compte que je n’ai pas mon téléphone sur moi et que je ne l’ai pas vu depuis hier. Je retourne à la salle de repos et après un long moment à fouiller dans mon sac, je mets enfin la main sur lui.
Je le rallume et ne suis aucunement surprise de trouver des appels en absence de Ty et Jesse et une quinzaine de messages tous provenant d’eux et d’Ama. Je m’apprête à leur répondre que je vais bien et que je rentrerai sans doute demain à cause de la tempête quand mon bipper sonne encore. Urgence en traumato. Dans un réflexe, je balance le téléphone au fond de mon sac et me précipite dehors où l’ambulance vient de garer avec un nouveau blessé. Carambolage.
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Mon Dieu, je suis épuisée. Ça fait près de quarante heures que je bosse et ce n’est que dans deux heures que je pourrais enfin rentrer chez moi puisque la tempête s’est enfin arrêtée.
Je soupire en retirant ma blouse, mon masque et mes gants pendant qu’on emmène le patient que je viens d’opérer en salle de réveil. Dix heures de chirurgie. Elle a intérêt à s’en sortir après que je me sois vidée de mon énergie en essayant de la maintenir en vie.
Je suis en train de me laver les mains, le regard perdu dans le vide, en me disant que je devrais appeler les autres pour leur dire que je vais bien. Les rassurer parce qu’avec cette tempête j’imagine qu’ils doivent s’inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de moi.
Je m’essuie les mains tout en sortant enfin de la pièce quand je me sens prise d’un vertige sans nom. Ma première pensée à ce moment-là est qu’il faut vraiment que je mange et que je me repose. Je m’adosse au mur derrière moi et essaie de reprendre mon souffle.
Je vois de plus en plus flou et j’ai du mal à respirer. Là, quelqu’un se rapproche de moi en fronçant les sourcils, je n’arrive pas à distinguer les traits de la personne mais ce doit être une infirmière vu le rose de son uniforme de travail.
-Docteur Williams ? Docteur vous allez bien ?
- St… Stella ?
-Oui c’est moi. Dites-moi ce qui ne va pas
-De… De l’air Stella
-Un brancard ! Apportez-moi un brancard tout de suite !
J’entends des gens s’affairer autour de moi et Stella me demander de rester avec elle, de ne pas fermer les yeux mais je suis tellement fatiguée… J’ai tellement besoin de sommeil… Juste un peu de…
********
Rhooo mais c’est quoi cette lumière là encore ?
Je referme un instant les yeux et les rouvre tout doucement pour m’accommoder à la lumière de la pièce. Mon Dieu, j’ai mal à la tête. Je lève la main pour voir si j’ai de la fièvre et me rend compte que j’ai une perfusion au bras gauche. C’est quoi ça ?
Je regarde autour de moi et réalise que je suis dans une chambre d’hôpital. J’essaie plusieurs fois avant d’arriver à redresser le lit et sonner une infirmière. Une minute plus tard, je vois Stella entrer dans la chambre et me faire un grand sourire.
-Comment ça va docteur ?
-Un peu mal à la tête mais ça va. Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Vous nous avez fait une belle frayeur, dis donc. Vous vous êtes évanouie devant le bloc et vous saigniez du nez.
J’ai ouvert de grands yeux étonnés avant de lui demander si elle savait ce que j’avais ?
-Le docteur Evans vous a fait faire une batterie d’examens et nous attendons les résultats. Il viendra sûrement vous voir dans maximum une heure
-Okay
Après avoir vérifié mes constantes, elle m’aide à m’installer plus confortablement et va me chercher de quoi manger. J’engloutis ce qu’elle m’a apporté en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et c’est en riant qu’elle va me chercher quelque chose de plus consistant dans le Burger King d’en face.
Une heure plus tard, je somnole quand la porte de la chambre s’ouvre sur Ed Evans.
-Hey Williams
-Hey Ed, ça va ?
-Ce serait plutôt à moi de te le demander, non ?
Il lève la tête vers moi et ce n’est que là que je remarque sa mine. Il a le visage fermé et un air désolé qui m’alarme tout de suite. Ce visage je le connais… c’est le même que j’ai quand je dois annoncer une mauvaise nouvelle à un patient.
-Qu’est-ce qu’il y a Ed ?
-Williams… je dois te poser quelques questions. Est-ce que tu as été sujette à de fortes migraines ces temps-ci ?
-Des migraines … ? Oui… oui de grosses migraines pratiquement tous les jours en fait
-Autre chose d’inhabituel ?
-Je ne sais pas… des vertiges mais j’ai été très préoccupée ces jours-ci alors j’ai mis ça sur le compte du stress
-… Je vois
-Qu’est-ce qu’il y a, Ed ?
-Je… On a dû te faire une batterie de tests pour savoir ce qui n’allait pas et… voilà ce qu’on a découvert.
Il se rapproche de moi, sort une radio du dossier qu’il tient et me la tend. Je la prends et l’observe. Au fur et à mesure que l’information parvient à mon cerveau, un sourire d’amertume se dessine sur mon visage. Je savais bien que ça arriverait un jour ou l’autre… mais pas maintenant… pas si tôt…
-Une masse ?
-Dans ton lobe frontal.
-Ok… Ok. Et c’est… ?
-Inopérable. Je suis désolé.
-…
Je lui rends la radio et essuie la larme qui coule sur mon visage. Tu t’y attendais Heartie… certes pas aussi tôt mais tu t’y attendais… ne pleure pas.
-Williams je suis désolée mais j’ai encore un truc à te dire… il n’y a pas que la tumeur que nous avons trouvée…
Je lève la tête vers lui, m’apprêtant à recevoir une autre bombe.
********
Ça fait près de vingt minutes que je suis garée pas loin de la maison. Je réfléchis. J’essaie d’y voir plus clair mais la seule chose claire pour moi en ce moment c’est qu’il faut que je parle à Ty. Je démarre et deux minutes plus tard, j’y suis. Je gare juste à côté de sa voiture et descends avec mon sac à main.
A peine j’arrive devant la porte d’entrée qu’elle s’ouvre sur mon mètre 90 de chocolat noir. Devant son air inquiet et le pli qui barre son front, je me sens coupable de ce qui s’est passé ces derniers jours, coupable de ne pas lui avoir expliqué les choses, d’être parti comme une furie, de ne pas avoir donné de nouvelles… et de revenir avec de si mauvaises choses à annoncer.
Nos regards s’accrochent et la seconde d’après, il me prend dans ses bras et me serre à m’étouffer.
-Ma puce ! Tu es là ! J’ai eu tellement peur. Je suis désolé, Heartie
-Je suis désolée aussi.
Nous restons ainsi un long moment avant qu’il ne me relâche et me palpe comme pour s’assurer que je vais bien. S’il savait.
-Viens allons s’asseoir Ty, il faut qu’on parle
-Ok
Je le suis dans le salon où nous nous asseyons dans le canapé, face à face.
-Avant que tu ne m’expliques quoi que ce soit, je tiens à m’excuser pour ce que j’ai dit ce soir-là. J’aurais dû te laisser t’expliquer avant de réagir.
-T’inquiète, je ne suis pas fâchée. J’aurais dû te parler de cette histoire depuis longtemps... Ecoute, je n’ai pas avorté de l’enfant de Charles pour lui faire du mal mais parce que l’enfant n’était pas viable.
-…
-Charles a été… mon tout à un moment donné de ma vie. Il a été mon grand amour, mon premier… On est sortis ensemble pendant deux ans avant que je ne découvre que je n’étais que sa maîtresse, qu’il était marié depuis 10 ans et qu’il avait deux filles.
Quand je l’ai su, j’ai été horriblement blessée. Je pensais déjà à rompre avec lui mais j’ai appris que j’étais enceinte de deux mois. J’ai alors décidé de prendre sur moi pour que mon enfant ait son père présent dans sa vie mais aussi et surtout, parce que je pensais que Charles et moi nous aimions toujours. En tout cas moi, je l’aimais encore.
La vraie déception m’est tombée dessus le jour où je lui ai annoncé ma grossesse. Après avoir ri à gorge déployée, il m’a regardée avec dédain et m’a sorti :
-Et tu as besoin de combien pour te débarrasser de ce problème ?
Devant mon air choqué, il a ajouté en riant :
-Quoi ? Tu ne pensais quand même pas que j’allais vouloir de ce rejeton ? Tu n’es qu’une fille que je baise de temps en temps depuis deux ans, je ne peux pas avoir d’enfants avec toi chérie.
Quand il m’a sorti ça, je l’ai chassé de chez moi et l’ai rayé de ma vie. J’ai commencé à prendre les dispositions nécessaires pour pouvoir m’occuper de mon enfant toute seule. Heureusement, Jesse était là pour moi. Et tout se passait bien.
Jusqu’à ce qu’au sixième mois de grossesse, on ne découvre que l’enfant avait une ostéogenèse imparfaite de type II. En gros, ses os étaient tellement fragiles qu’il ne pourrait pas survivre à l’accouchement. Ils se briseraient tous.
C’est là que j’ai dû prendre la décision d’interrompre la grossesse. On m’a fait une césarienne et une semaine plus tard, j’enterrais mon bébé avec Jesse à mes côtés. La douleur était tellement grande… tellement poignante…
C’est bizarrement là que, dans mon besoin de trouver un réconfort, des réponses à mes questions, je suis devenue musulmane. Et Dieu seul sait quel bien cela m’a fait à cette époque.
Un mois plus tard, je ne sais comment et par qui, Charles a appris que le bébé que j’attendais était un garçon et il est revenu la queue entre les jambes me dire qu’il voulait reconnaître son enfant. J’étais tellement remplie de colère que je lui ai dit, rien que pour le blesser, que j’avais avorté de l’enfant parce que la grossesse me rappelait trop le salop qu’il était. Et jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais eu l’envie de lui dire la vérité. Il ne le mérite pas. Voilà ce qui s’est passé.
-Je suis désolé Heartie
-Ce n’est pas grave. Je suis plutôt soulagée finalement de t’avoir parlé de cette histoire. Et euh… par rapport à Jesse et Ama… et à leur bébé
-Tu n’es pas obligée de…
-Laisse-moi finir Ty. Disons juste que… Ama avec sa grossesse me rappelle tellement mon bébé. C’est bizarre parce que je n’ai pas eu ce blocage avec Dakota quand elle était enceinte. Peut-être parce qu’Ama est de ma famille, je ne sais pas… J’essaie tout le temps de ne pas y penser mais il me manque. Et je ressens cette douleur si forte dans mon cœur, mon ventre, mon âme. Il était si beau si tu l’avais vu Ty. Mon bébé…
Là, dans ses bras, j’éclate en sanglots et il me serre contre lui aussi fort qu’il peut.
-Je… je n’en veux pas à Ama, c’est juste que sa grossesse me rappelle tellement la mienne… et je me dis… que j’aurais tellement aimé qu’il vive… je me voyais déjà lui donner tout mon amour… Ty… Mon bébé…
Il m’attire à lui, me fait asseoir sur ses jambes et se met à me bercer. Je reste contre lui un long moment et je pleure tout mon saoul.
-Ça va aller mon bébé… On en aura plein de bébés… toi et moi
En entendant ses mots, un sourire s’inscrit sur mon visage et je me redresse pour le regarder dans les yeux.
- Quoi, ma puce ?
-J’ai quelque chose à te dire
-Quoi ?
-On va en avoir un
-Un ? Quoi ?
-Un bébé…
-Tu… Tu es…
-Enceinte !
-(En touchant mon ventre) T’es en cloque ?!
Je ris en voyant son visage s’illuminer. En cloque ? Depuis quand il parle comme ça ?
-Ce n’est pas très joliment dit mais oui bébé… Je suis en cloque !
-Oh mon Dieu… Je t’aime Heart
-Je t’aime aussi mon amour
Il m’embrasse avant d’embrasser mon ventre et je me sens bien… Là, devant son expression heureuse, je décide de garder l’autre nouvelle pour moi. Je ne veux pas gâcher notre bonheur avec l’inévitable.
Pourvu que cela se passe bien cette fois-ci mon Dieu… malgré la maladie… malgré tout. Parce que oui… dans la vie, il faut choisir ses priorités et moi… je choisis qu’on se concentre sur notre bébé.
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